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Selon Ambroise Tadieu, la maison de Cordemoy, place Saint-Martin à Royat- gravure 1902- D.R.
Chroniques

Le « nègre » malgré lui de Molière

1670, année du Bourgeois gentilhommeL’Illustre Théâtre est, depuis cinq ans, la « Troupe du Roi » en charge des spectacles officiels. De cour en salon, les envoyés spéciaux de Molière glanent des sujets d’inspiration, soigneusement mis en fiches. Puis, son staff met au point les scénarii et se partage les tâches, Molière ne jouant que le rôle de superviseur, ce qui explique sans doute l’absence de manuscrits de ses œuvres dans la langue de lui-même !

Quand l’histoire littéraire se livre- collection A.S.Simonet.

Le 3 octobre 1670, en partant chasser en forêt de Chambord, Louis XIV passe commande à sa Troupe d’une comédie-ballet à donner au château le 14 du mois. À un budget libre de contraintes répond un « cahier des charges » très encadré. Il faut mettre en scène la cérémonie en grande pompe offerte à l’ambassadeur du sultan turc le 5 décembre 1669 à Saint-Germain-en-Laye. Il faut « vendre » les vastes opérations de police lancées dans tout le royaume contre les faux nobles. Il faut enfin ridiculiser la nouvelle science des disciples de René Descartes, au premier rang desquels un certain Géraud de Cordemoy, l’un de ses rares disciples admis à assister aux funérailles du maître, mort en Suède en 1650 et rapatrié en France en 1667.

Discours physique de la parole

Or, en 1668, ce Cordemoy (1626-1684) aux origines royataises* et précepteur du fils aîné du roi grâce au « piston » de son ami Bossuet, a publié un sentencieux Discours physique de la parole que l’un de ses trois fils, Louis-Géraud (1651-1722), abbé de Feniers (Cantal) de 1678 à 1722, théologien et historiographe du roi fera publier en 1704, avec les autres textes de son père.

Dans ce Discours, on apprend en s’ennuyant que « la bouche est taillée de sorte que [l]es sons venant à s’y entonner reçoivent différentes terminaisons selon les différentes manières dont elle s’ouvre. En avançant la mâchoire d’en bas vers celle d’en haut, on formera une voix terminée en E. […] 

Enfin, si l’on rapproche les dents sans les joindre entièrement, et si, en même temps, on allonge les deux lèvres, sans les joindre tout à fait, on formera une voix en U. […] Et la lettre R [se prononce] en portant le bout de la langue jusqu’au haut du palais, de manière qu’étant frôlée par l’air qui sort avec force, elle lui cède, et revient souvent au même endroit. »…

Dont acte… II, scène IV du Bourgeois 

« La voix E se forme en rapprochant la mâchoire d’en bas de celle d’en haut. […] La voix O se forme en rouvrant les mâchoires et rapprochant les lèvres par les deux coins, le haut et le bas. […] La voix U se forme en rapprochant les dents sans les joindre entièrement, et allongeant les deux lèvres sans les joindre tout à fait. […] et l’R, en portant le bout de la langue jusqu’au haut du palais, de sorte qu’étant frôlée par l’air qui sort avec force, elle lui cède et revient toujours au même endroit. »

Venons-en à la leçon à tirer de tout ceci : quand leur « Monsieur Jourdain » disait de la prose sans qu’il n’en sût rien, les ouvriers de l’entreprise Molière n’usinaient-ils pas du Cordemoy en toute connaissance de cause ? « Il n’y a rien de plus véritable. »

* Royat a donné son nom à une petite rue près de l’église.

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Simonet

Historienne de formation universitaire, Anne-Sophie Simonet arpente depuis des décennies le « petit monde » clermontois de la presse. Auteur d'une dizaine d'ouvrages, c'est en tant que président de l'association Les Amis du vieux Clermont qu'elle invite à cheminer dans sa ville natale, la plume en bandoulière.

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