« Avant notre venue, rien ne manquait au monde. Après notre départ, rien ne lui manquera ».
Omar Khayyâm (1048-1131)
Il y a dans le désert comme en haute montagne une fascination nihiliste. Sidéré par ces espaces de mort qui nous imposent leur immanence et notre impermanence. Ici, comme là-haut, nous ne sommes rien. Les dunes, dont un léger vent irise leurs crêtes, nous disent notre absence. Et notre romantisme tout occidental.
Croisé dans les venelles de Bayazeh, Darius[1] le partage dans son amour de SON désert, pestant – avec compréhension – contre la jeunesse dorée de Téhéran qui, dans des virées sauvages et clandestines, vient ici s’extraire avec déraison du carcan des mollahs, le ciel étoilé pour seul témoin, les lueurs de feux pour seul repère, la musique amplifiée pour couvrir le silence et les interdits à transgresser : les amours d’un soir, les bouteilles d’une vie, les danses à corps serrés et les voiles abandonnés.
Les mollahs sont alors loin dans ce silence protecteur des sables pour tout horizon. Ils restent pourtant si présents dans la rage qui transparaît dans les propos de Darius. Une banale remarque sur les dangers du tabac (assez malhabile pour un fumeur !) et la répartie fuse, comme l’œil soudain noir et grave : « non ce qui est dangereux – et insupportable – ce sont les mollahs au-dessus de la tête ».
Et le geste d’accompagner les mots qui s’enchaînent. L’homophilie dans l’éducation des jeunes garçons par les hommes en noir, barbe et turban, la corruption des âmes et la punition des différences, jusqu’aux sévices des corps. L’avilissement puis l’impossibilité à vivre sa vie, toute simple et ordinaire qu’elle soit souhaitée.
Il flottait dans cette étape hors les pistes une liberté de ton, sombre, à la hauteur de celle, lumineuse, des espaces.
Un regain fuyant
Venant de Yazd, c’est le village fantôme de Karanaq en première halte. Abandonné depuis quelques dizaines d’années seulement il se blottit encore dans ses murs murailles pour ne s’ouvrir, en amphithéâtre, que du côté de la falaise protectrice, au-dessus de la rivière, face aux montagnes en majesté. Le sens du lieu et de la vue. Ne reste qu’un bâti de pisé qui se délite lentement aux assauts du temps et confère aux maisons et ruelles voutées un charme crépusculaire et labyrinthique.
Bayazeh, toujours habité, aura été, arrivant sur Mesr, un témoin encore vivant – mais pour combien de temps – de ces villages bientôt condamnés à l’errance. Même si d’autres rejaillissent ailleurs au gré du modernisme ou d’exigences plus politiques.
Le plein de sable et de soleil fait, emplis du silence comme des paroles, la route sans fin pour Ispahan fera étape pour quelques heures à Na’in et sa magnifique mosquée conçue pour les saisons. Une cour intérieure aux mois frais de l’hiver, son double souterrain abrité de la canicule de l’Eté. Sur le pavement, des pierres opalines apportent aux prières abritées du soleil une lumière douce, zénithale et bleutée.
Une tisserande fera démonstration, dans cette ville centrale pour cet art, de son habileté et de ses doigts virevoltants avec une vitesse juste incroyable, comme ces jours de voyage qui, déjà, commencent à fuir.
Suite à la prochaine chronique…
[1] Pseudo.
Commenter