Le Moniteur, lui, ne fait pas relâche pour narrer par le menu les cérémonies d’une fin de semaine mémorable. Détachez vos ceintures : « Potage primeurs, melons cantaloups glacés, timbales de crêtes de coqs magenta, truites du lac Pavin norvégienne, chapons d’Auvergne marengo, jambon de Westphalie à la russe, cèpes bordelaise, sorbets au cliquot, poulardes du Mans truffées, aspics de foie gras de Nancy, médaillons de langouste à la Desaix, puy de Dôme glacé, dessert de fruits. Vins : Thorins en carafes, Sillery frappé, Corton, Château-Margaux, Moët et Chandon » ! … Sont également servis : une salve de vingt et un coups de canon, une retraite aux flambeaux, des discours et remises de décorations ainsi que les vers bourratifs du doyen de la faculté des lettres Emmanuel des Essarts chantant la gloire du héros, « mort vainqueur et mort immortel ».
« Veygoux [sera] ma récompense »
Aux sources de la fulgurante épopée de Desaix – général de division à 25 ans, libérateur de la basse Alsace, maître de Malte et « Sultan juste » de la haute Égypte –, Saint-Hilaire d’Ayat, future commune d’Ayat-sur-Sioule. C’est là, le 17 août 1768, dans une gentilhommière décrite en 1788 comme « ce qu’il y a de mieux dans le village », que naît Louis-Charles-Antoine des Aix, chevalier de Veygoux, ainsi qu’il se fera longtemps nommer pour se distinguer de ses frères Amable, appelé des Aix, et Louis-Amable, chevalier des Aix.
Plus qu’une maison de famille, le manoir de Veygoux est, pour le gamin devenu général au long cours, un talisman qui le suit de campagne en confidence : « J’ai vu plusieurs fois [à l’armée du Rhin] des jeunes gens de notre département et j’en ai été dans la joie. J’ai bien causé avec eux de nos rochers et de nos montagnes. […] À la fin de toutes les charges, des emplois et des honneurs, Veygoux, ses champs et ses bruyères seront ma récompense. »
Sourde aux vœux du grand soldat, l’histoire fut plus conciliante pour ceux du Premier consul qui, au lendemain de Marengo, voulut que fût érigé pour son ami un tombeau avec « les Alpes pour piédestal et pour gardiens les religieux du [Grand] Saint-Bernard ». Le 19 juin 1805, le corps de Desaix y est transporté depuis le couvent milanais de San-Angelo (Italie).
Peut mieux faire
En 1776, boursier du maréchal d’Effiat, Desaix est admis à l’école royale militaire, qu’il fréquente jusqu’à la mort de son père (1783), avant d’être incorporé (comme sous-lieutenant sans appointements) dans le régiment de Bretagne. S’adressant, le 26 juin 1781, à Madame Desaix mère, née de Beaufranchet, le préfet des études d’Effiat, le Père oratorien Rivette, porte sur le chevalier un jugement sévère…
« Vous n’aurez pas lieu d’être merveilleusement contente du présent que vous fait aujourd’hui monsieur votre fils. » Appréciations à l’appui : « Conduite : très médiocre ; Lecture et écriture : peu d’application ; Langue latine et française : travaille sans réflexion ; Géographie et histoire : bien, mais sans effort ; Mathématiques : progrès médiocres ; Dessin : léger et capricieux ; Langue allemande : fait des progrès ; Religion : distrait en général ».
Aurait pu mieux faire
Trente-sept ans après la pose de la première pierre de la « pyramide », en fait une fontaine-obélisque coiffée d’une urne supposée contenir le cœur du défunt[1], le Conseil général du Puy-de-Dôme décide, le 23 août 1838, de statufier Desaix à Clermont-Ferrand. Jugée trop chère, la fougueuse composition équestre d’Antonin Moine est vite écartée au profit d’une œuvre figée étrangement dotée de belles bacchantes, due à Charles-François Lebœuf, dit « Nanteuil » (1792-1865). Son piédestal sera finalisé en 1903 pour s’harmoniser à celui d’un autre « moustachu », Vercingétorix ! Le temps de rassembler les 30 000 francs[2] exigés par le sculpteur, grand prix de Rome 1817, l’inauguration arrive enfin, le 13 août 1848.
L’Ami du Peuple immortalise l’instant où, « au signal des canons de l’artillerie des Gardes nationales de Clermont et de Riom, la toile tombe, découvrant le héros aux yeux de la multitude qui le salue de ses acclamations » et de ses quolibets puisque l’œuvre, « d’une médiocrité d’autant plus désespérante qu’elle est coulée en bronze », excite les gazettes qui se demandent « ce que signifie le geste impératif de Desaix. » Sous l’angle anatomiquement favorable, des générations de potaches ne se posent plus la question !
[1] En réalité pulvérisé par la balle mortelle sur le champ de bataille.
[2] Soixante ans plus tard, A. Bartholdi établit un devis à peine supérieur pour réaliser son Vercingétorix !
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