Créée après l’inscription UNESCO de la Chaîne des Puys-faille de Limagne, l’Association Internationale des Sites Naturels Habités est actuellement présidée par Jean-Yves Gouttebel, ancien président du conseil départemental du Puy-de-Dôme et initiateur de la candidature.
L’AISNH vient tout juste de tenir son premier Workshop international sur les thèmes Paysages, Sylviculture et agropastoralisme durables. Organisé à Clermont et alentours, il a réuni, une semaine durant, des experts, des gestionnaires de sites et des décideurs de 7 pays du monde (France, Albanie, Autriche, Allemagne, Espagne, Slovaquie et Inde). Cet événement visait à favoriser le partages d’expériences et à développer des méthodes permettant de concilier la préservation écologie, le maintien des pratiques traditionnelles et la gestion de l’attractivité touristiques.
Yves Michelin, géographe, ancien enseignant de VetAgroSup est secrétaire l’Association Internationale des Sites Naturels Habités et c’est à lui qu’est revenu la tâche d’être le grand animateur de ce Workshop. Il s’est donc prété volontiers au jeu des questions et des réponses.
Olivier Perrot : Pourquoi avoir créé cette Association Internationale des Sites naturels Habités ?
Yves Michelin : Ce que l’on a constaté durant la négociation pour l’inscription de la Chaîne des Puys-faille de Limagne à l’UNESCO, c’était que les questions de nature dans laquelle il y a des habitants, ou de nature fabriquée par l’activité humaine, étaient très peu prises en compte autrement que par l’interdiction. En discutant avec des tas de pays, on s’est aperçu que, eux aussi, se plaignaient de ne pas trouver de réponses technique et de solutions pratiques parce qu’on leur impose un schéma global de mise sous cloche. On s’est dit qu’il fallait repartir des besoins et de l’expérience de la base, de gestionnaires de sites confrontés à ces questions, qui bricolaient et expérimentaient des solutions pour en tirer des enseignements à la fois en terme de méthodes mais aussi en terme de façon de penser. Il fallait que l’on puisse proposer aux instances nationales et internationales de prendre en compte ces façons de penser.
O.P : Pouvez vous préciser c’est que vous considérez un site naturel ?
Y M : Quand un visiteur va dans un site naturel, il pense que c’est le paradis, que ce paradis est immuable et que chaque changement est une catastrophe. Un arbre qui tombe est une catastrophe, une brebis qui mange une pousse d’herbe est une catastrophe… tout est catastrophique car cela peut détruire un équilibre qui, en fait est rêvé. Ce que les gens ne voient pas, c’est que ce qui a l’air naturel est lié à la façon dont les habitants, les gestionnaires, utilisent cet espace.
Un exemple qui nous a surpris c’est celui des Lapons que l’on a invité au Workshop. Le peuple Sami dit que nous les occidentaux, voyons la toundra comme naturelle, comme immuable, mais si nous la voyons naturelle c’est parce qu’il ne laisse pas de trace, ajoutant que si les Samis n’étaient plus là, on verrait ce qui se passerait. Le défi est ici : Pour que cela ait l’air naturel, il ne faut pas que l’on voit ce que l’on fait. Mais comme on le voit, beaucoup de gens considèrent que ce qui s’y fait est mal. C’est la cas face à un éleveur, un forestier ou une brebis.
O.P : L’idée, malgré tout, est de protéger les site des exploitations gigantesques, comme les mines par exemple…
Y.M : Tout ce qui est fait dans un milieu naturel ne lui est pas forcément favorable. Cela peut être une surexploitation, du pillage, du braconnage ou à l’inverse un manque d’utilisations générant des dynamiques avec à la clé la perturbation de la biodiversité. Globalement, ce qui est important, c’est de trouver le bon équilibre. Comment faire en sorte que les populations locales qui sont sur ces sites puissent conserver les coudées franches. Cela ne veut pas dire qu’il faut leur laisser faire n’importe quoi, mais plutôt, qu’à priori, il faut les laisser s’exprimer avec leur compétences au regard d’autres compétences, tout en prenant en compte la faune et la flore sauvages, les dynamiques sur le long terme, intégrer le changement climatique et vérifier qu’il n’y a pas une diminution trop importantes des pratiques. Tout cela est en finesse en fait.
O.P : 7 pays sont présents à ce 1er Workshop : ont-ils des problématiques communes ?
Y. M : Globalement ils sont confrontés à la même chose : des sites qui ont l’air naturels dans lesquels il y a des habitants qui ont contribué à faire en sorte que cette nature ait de la valeur. Les instances étatiques ou internationales ne sont pas toujours à l’écoute de ces habitants. On pourrait parler des Massaï que le gouvernement Tanzanien est en train de déplacer pour pouvoir laisser la faune entre guillemets sauvage, pour de la chasse à trophées. C’est un cas extrême, mais on est tous face à cette question. Évolution de l’agriculture, de la population, globalement de moins en moins de monde, de moins en moins d’activités agricoles… que l’on soit en Inde, en Slovaquie, en Espagne ou dans la Chaîne des Puys, on est à un moment charnière où les systèmes traditionnels sont un peu secouées par la mondialisation, les équilibres écologiques sont un peu perturbés par le changement climatique et tombent du ciel des normes très rigides qui freinent les capacités d’adaptation. Le défi est de trouver des solutions et de proposer aux instances gouvernantes d’autres modalités de gestion.
O.P : Que restera t-il de tous les échanges de ce rendez-vous ?
Y.M : C’est le premier Workshop, on démarre à 7, on expérimente, on ne veut pas se mettre une barre trop haute, mais ce que l’on envisage c’est une valorisation locale, c’est à dire rendre compte auprès des acteurs locaux des points de vues croisés des différents participants. Cela peut aider à faire comprendre qu’ici il y a des problèmes communs avec d’autres sites et que dans d’autres sites, ils ont essayé des trucs qui ont l’air intéressants qui peuvent donner des idées. La seconde c’est un point de vue un peu plus distancié que l’on envisage de soumettre à une revue scientifique pour faire évoluer la mentalité de ceux qui construisent la connaissance et peut-être aller vers un texte de posture ou d’opinion et de le présenter à des décideurs et des élus pour montrer que l’on peut penser différemment et que l’on pourrait envisager des évolutions législative. Ce serait comme en 1967 à la création des parcs régionaux, en réponse aux parcs nationaux. Alors pourquoi pas en 2027 ou avant, imaginer d’autres procédures pour l’État, les régions pour que les populations locales soient intégrées dans la gestion des sites qui ont une haute valeur naturelle ou patrimoniale.
O.P : Lorsqu’on vous écoute, tout paraît évident mais malgré tout, on ne peut s’empêcher de voir un côté Don Quichotte.
Y. M : Absolument et même revendiqué. Je dirais aussi Bisounours… C’est un peu l’héritage des discutions pour l’inscription UNESCO. On a bien vu que l’on se heurtait parfois à un problème de conception et de représentation de ce qu’est la nature. On s’est dit que l’on ne pourrait pas être inscrits sans faire bouger les lignes et faire admettre que ce qui se fait sur les espace naturelles exceptionnels ne doit pas être considéré comme mal et qu’il ne faut pas le faire. Mais il y a des sites qui ont une grande valeur naturelle de très haut niveau, en partie héritée de l’action humaine. Donc si on veut la préserver, la développer et la transmettre, il faut imaginer des modalité de gestion spécifiques et originales dans lesquelles les habitants, les élus locaux les associations soient des partenaires avec qui l’on dialogue à égalité entre l’État, les collectivités locales, les élus, les forestiers, les agriculteurs, les coopératives d’estives, les chasseurs, les défenseures de la nature… tout le monde doit être au même niveau pour construire localement une vérité que l’on partage.
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