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L’arpenteur du Reichtag

Il est des mots que l’Histoire a définitivement détournés de leur sens premier comme pour hanter les mémoires, des Allemands, de l’Europe et du Monde. Quelques lettres seulement, frappées de l’effroi des Hommes, de leurs tourments et qui résument leur insupportable aptitude au pire.

Le Reichtag est toujours debout, rénové, élevé de sa coupole cristalline et siège aujourd’hui d’une solide démocratie[1].

Son parvis accueille, quotidiennement, les touristes ébahis et les férus d’architecture. Christo a emballé le symbole abattu. Quelques semaines plus tard, Foster entamait sa métamorphose. Un masque de l’oubli pour mieux renaître. Vous y croiserez peut-être un joggeur hagard, grand et grisonnant, survêtement blanc, regard ferme et œil vague, démarche chaloupée et ralentie. Sa radio en ceinture diffuse à tue-tête.

L’arpenteur du Reichtag attire les sourires, moqueurs, compatissants ou juste curieux.

 

Difficile à Berlin d‘ignorer le poids de l’Histoire. Je n’en avais qu’un souvenir diffus, lors d’un passage nocturne de l’Est à l’Ouest, au temps de la guerre froide.

Pas de monuments magistraux, mais partout nos pas mènent naturellement sur les évocations d’une ville coupable et victime.

Sur Bernauerstrasse, au fil du long alignement de tiges d’acier corten, ponctué de plaques informatives : ici, avant, après, comment. Le pourquoi est laissé à la libre réflexion de chacun.

A Kreuzfeld, au musée juif de Libeskind, si semblable à celui qu’il a construit à San Francisco. Boite sombre et brisée qui joue des impasses et des échappées, des angles et des espaces.

L’on pense à Dante : « Toi qui entre ici, oublie toute espérance ». Mais c’est au mémorial, à Mitte, que Primo Levi est plus justement cité : « C’est arrivé. Cela peut donc arriver encore. C’est le cœur du message ».

A la porte de Brandenburg qui impose une émotion imparable, forte et sombre ; témoin de tant de fureurs !

A Friedrichshain, au long du mur qui résiste encore sur les rives de la Spree et cache son sinistre ouvrage sous les fresques d’artistes, fervents célèbres ou anonymes du street art.

 

Visiter Berlin, c’est aussi découvrir une morphologie urbaine très atypique. Larges avenues, façades en enfilades coupées ici ou là de palais anciens et rescapés. Végétation libre. Circulations douces.

Le calme étonne. Loin des capitales-musée et des mégapoles effrénées, il s’impose dans les flux, les allures, les voix et les regards.

On s’en demande presque où sont passés ces huit millions d’habitants si l’on ne se rappelle pas immédiatement l’étendue hors norme de la ville.

Puriste, on pourrait voir dans Friedrichstrasse et Unter den Linden un cardo et un decumanus, mais pas de forum en leur intersection.

S’ils forment bien un centre physique, touristique et (surtout) commercial, il reste délicat de considérer cette ville avec un centre.

Il est partout : au pied des immeubles, au détour d’un croisement, à l’angle d’un parc, au pied d’une église, au cœur d’une ancienne brasserie, au sein deviné d’un club de jazz bondé ou d’un simple bar de quartier, aux puces dominicales du Mauer Park comme devant un squat alternatif.

Les « vegan » croisent les amateurs de curry wurst tandis qu’une ostalgie discrète transpire de certains quartiers, bars de skaï et formica ou petits musées de la vie quotidienne d’alors. En proche périphérie, une architecture « néo stalinienne » en résurgence des rêves de grandeur se donne à voir tandis que la Postdamer Platz s’est donnée à Sony.

Allez à Berlin, plongez dans l’Histoire, apprenez la douceur d’une ville apaisée mais pleinement vivante et n’hésitez pas à choisir Prenzlauerberg, à proximité d’Eberswalder. C’est un bon spot pour y séjourner.

 

[1] Le Reichtag désigne le bâtiment (palais du Reichtag). Il abrite le Bundestag, assemblée de la République fédérale d’Allemagne.

À propos de l'auteur

Eric Gauthey

Né avec la crise des missiles de Cuba, son enfance, ses études et ses premières années de la vie d’adulte furent nomades.
Au début des années 90, il émigre à Clermont-Ferrand pour se sédentariser. Son métier, non moins sédentaire, l’engage dans le service au public (transports publics de l’agglomération clermontoise).
Le voyage reste sa passion, pour ses vacances mais pas seulement. Cofondateur d’Il Faut Aller Voir et du RV du Carnet de Voyage, il pousse jusqu’à publier deux ouvrages : « Cher Bouthan » – 2011 et « Buna Tatu » - 2017 (sur l’Ethiopie).

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