Mais l’Islande est une ile, pas n’importe quelle ile et ça fait toute la différence. Elle se joue de nos repères et références. Elle se joue de la météo et des espaces. Elle impose sa singularité.
Les voyages ne se lisent pas à longue focale. C’est au grand angle que l’on saisit les détails. Et tout ici fait penser au désert.
Non pas à ceux de sable, de sommets ou de toundra. Ceux-là se gorgent de longueurs. Ils s’échinent à se répéter à l’infini. Ils sont insistants et rabâchent leurs paysages. Celui d’Islande se glisse, magistral et fuyant, dans une variation permanente. L’ile fait de son horizon bleuté, liquide et tourmenté son continent. Son infini tient dans ce rapport de l’isolé à l’immensité.
Un festival d’ombres et de lumière
La lumière orchestre le paysage islandais. Elle y fait chaque jour, chaque heure son festival pendant que tous les vents et ombres du monde y tiennent congrès.
«Ce qui avait été un crépuscule blême, une espèce de soir d’été hyperborée, devenait à présent, sans intermède de nuit, quelque chose comme une aurore, que tous les miroirs de la mer reflétaient en vagues traînées roses […]. 1».
Ombres et lumières se fuient ou s’affrontent. C’est aux frontières que l’orage éclate. Une incessante pyrotechnie de météo changeante anime les paysages rudes et arrogants de montagnes qui semblent des géants.
Ils surgissent de l’ombre pour fondre sur le regard à la première lueur puis disparaissent aussitôt, la lumière balayée par le vent.
Pas de «fleurs d’artifice » 2 sur les basaltes, mais des entrailles à fleur de terre qui explosent sans prévenir. Il y a ceux qui étaient là, au pic des festivités 3 , et ceux comme moi, passés après les réjouissances s’esbaudir sur les restes encore fumants du festin.
La lumière, cédant dans son ballet permanent avec l’ombre, laisse les laves ou lacs se parer d’un noir à la Soulage, puis d’un pas de deux ressurgit et révèle ponctuellement en touches intenses et choisies des herbes rares ou des lupins envahissants, des bordures littorales glissant des ocres aux gris en un ressac permanent.
Glaciers à l’agonie
Devant les glaces qui débordent encore des sommets, on est pris de velléités ménagères. C’est que les terres morainiques marbrent la lueur de la glace. On la croirait sale alors que cette bataille apporte toute sa beauté graphique aux relents des glaciers.
A l’agonie, ils peinent à rejoindre la mer. Une mer immense et sombre pour les habitants. Une mer qui donne mais a tant pris 4 . Les vagues sont toujours scélérates. Il arrive qu’elles puissent être douces.
Sur la côte nord de Snaefelsness 5 l’on voit autant de coques à la calée dans des jardins ras, que blotties, frileuses et apeurées, dans des ports recroquevillés. Ils méritent ici plus qu’ailleurs d’être des havres ; rares ponctuations de la présence de l’Homme avec, ici où là, des fermes ou hameaux isolés que seul, une fois encore, un rai peut dévoiler.
Immense Islande dans son continent maritime, désert fuyant qui capte chaque regard. Au grand angle, ce bout du Monde n’est pas un finisterre, il ressemblerait plutôt à son centre, une terre d’avant ou après nous.
1 Pierre Loti, Pêcheurs d’Islande
2 Gilles Lapouge
3 Eruption du volcan Fagradalsfjall, 2021
4 Entre ciel et Terre de Jon Kalman Stefansson, Gallimard
5 Littéralement « la péninsule des montagnes enneigées »
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