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Le philosophe clermontois Gérard Guièze, l'un des intervenants réguliers d'Au Bar des Sciences.
Entretiens

Gérard Guièze: un point de vue philosophise sur la crise

Et si l'on parlait de la crise avec un peu de distance sur les événements. En pleine période de confinement, le Clermontois Gérard Guièze, professeur de philosophie, conférencier sur les problématiques du monde contemporain, a répondu à nos questions.

7 JOURS A CLERMONT : La philosophie peut-elle être utile durant une telle période ?

GERARD GUIEZE : Vous devez bien vous douter de ma réponse … mais je souhaite être plus précis et dire qu’une période vécue comme une crise économique et sanitaire offre une véritable matière à penser, puisqu’elle se présente comme une perte de nos habitudes et de nos évidences : celles du bien-être, de la vie sociale, familiale, festive, scolaire … Une telle crise est donc ce moment critique qui convoque la pensée et l’action à faire des choix au cœur d’une épreuve impossible à fuir .

« Désorientation politique »

7JC : Que peut apprendre de cette crise ?

G.G: Parler de crise, c’est nommer un moment qui doit permettre un diagnostic, car il signale une étape qui est vouée à être dépassée, un moment marqué d’incertitudes, ouvert sur un horizon sans promesses, puisqu’on ne peut en percevoir l’issue .
Par ailleurs, une telle crise rend manifeste un écart face à tout optimisme lié habituellement à la confiance en l’idée de progrès : nous prenons conscience de problèmes qui ne vont plus pouvoir être résolus par des réponses classiques. Le passé s’éloigne et le futur échappe : nous vivons une désorientation politique.

7JC :  Qu’apprend-on alors sur une telle époque critique ?      

G.G : Nous découvrons que nous sommes en train de vivre un moment durable où vont vite s’effacer les idées toutes faites et les réponses convenues. Nous devrons avoir des idées autres qui ne sortiront pas d’une idéologie toute faite ou défaite …
Devant un monde mis en crise, nous allons devoir nous préserver de nos repères doctrinaux. Par ailleurs, nous voici sensibles au fait que l’être humain est un être qui séjourne dans un clair-obscur : il lui faut à la fois une vie publique pour ne pas rester confiné dans un espace privé, et un refuge dans un lieu personnel pour abriter son intimité, ses désirs, et sa vie intérieure ! Chacun a bien besoin de cet équilibre pour ne rien sacrifier de sa vie. Nous apprenons donc, ces jours-ci, qu’il ne s’agit pas d’être en permanence sous les yeux de tous, parce qu’une vie n’est humaine qu’à condition de pouvoir aussi se dérober pour se consacrer à ce qui fait sens personnellement à chacun.
Sans une vie privée, l’homme serait vite un être dispersé ; et sans une vie publique, il deviendrait vite invisible ! Notre humanité a besoin d’une existence composée d’allers et venues entre le dehors et le dedans de soi .

7JC :  Ce confinement se traduit par une privation de nos libertés. Mais il peut aussi révéler de nouvelles solidarités…    

G.G : Il convient, je crois, de rappeler qu’il n’y a pas de libertés sans protections ! Une liberté qui n’est ni rendue possible, ni garantie, est précaire et vulnérable, ce que nous apprennent les lois.
Toutefois, il y a deux sortes de lois possibles : celles qui protègent des droits et celles qui les suppriment .
Nous devons donc trier entre celles qui nous offrent une sécurité, et celles qui se présentent comme une logique de surveillance ou de punition qui sont davantage des modalités d’exercice d’un pouvoir que des actions de protection citoyenne .
A propos de solidarités à l’oeuvre aujourd’hui, je dirais seulement que, si c’est ainsi, c’est aussi parce que tant d’autres solidarités se sont dégradées … Alors, ce qui est le plus touchant, ce sont ces actions solidaires qui ne sont pas seulement la réponse à des droits, à des secours, mais qui instituent des liens de fraternité entre les citoyens les plus volontaires résistant avec ardeur à la passivité des autres .

« Un temps disloqué »

7JC :  Au-delà de la crise actuelle, vivrons- nous, selon vous, un changement ou bien un retour à l’identique ?

G.G : Une crise, nous le disions, nous installe dans un temps disloqué avec ses décisions à court terme, ses modalités de confinement et de déconfinement progressif par exemple . Mais nous savons bien que nous aurons à rebondir , à relancer un futur, celui des modes de production par exemple qui ont montré les menaces d’une mondialisation marchande .
Ce qui doit changer, selon moi, c’est ce qui nous oriente : aller vers des principes de responsabilités nouvelles et non plus vers de naïves espérances issues d’une coupable confiance aux seules lois du marché ! Nous devrons assez vite parvenir à des distributions de richesses plus équitables, à une meilleure rétribution des services de soins, et à une attention  plus engagée à nos environnements .
Nous aurons à dissoudre ce qui se décompose et qui rend manifeste des inégalités extrêmes, et des hiérarchies professionnelles injustes ! Demain, agir ne saura se réduire à s’adapter au présent et à ses épreuves .

7JC : Pourriez-vous nous nous conseiller un livre référence pour cette période ?

G.G: A mes yeux, ce serait La Crise sans fin de Myriam Revault d’Allonnes, un livre publié au Seuil, en 2012.

 

À propos de l'auteur

Marc François

A débuté le métier de journaliste parallèlement sur une radio libre et en presse écrite dans les années 80. Correspondant de plusieurs médias nationaux, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Info Magazine (Clermont, Limoges, Allier) pendant 9 ans, il a présidé le Club de la Presse Clermont-Auvergne entre 2009 et 2013. Il est l’initiateur de 7 Jours à Clermont.

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