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Estampe de Jean-Baptiste Vérité - © BnF
Estampe de Jean-Baptiste Vérité - © BnF
Chroniques

Gaultier de Biauzat : un bourgeois en Révolution

Serment du Jeu de paume, dénomination du Puy-de-Dôme, premier maire républicain de Clermont-Ferrand, « suspect » sous la Terreur et haut placé sous l’Empire, Jean-François Gaultier de Biauzat participa activement à la grande histoire de France.

Cadet des quinze enfants de François, avocat, et de Jacquette Jourde, il naît le 23 octobre 1739 à Vodable (Puy-de-Dôme), où sa famille possède le fief de Biauzat, accordé par la duchesse d’Orléans en 1462 avec le titre de lieutenant général du Dauphiné et d’Auvergne.
Malgré le décès de sa mère, l’année de sa naissance, il mène de solides études préparatoires au noviciat chez les jésuites de Billom et de Toulouse avant, dans un contexte religieux délicat, de bifurquer vers le droit et Paris. Mais, lorsqu’il cherche à exercer à Clermont, le barreau le retoque (12 mai 1767) car il a fréquenté la Compagnie de Jésus, interdite en France depuis l’édit royal de novembre 1764. Véto levé le 27 avril 1768, il peut s’installer et même, en 1773, hériter de l’étude renommée de son frère, Pierre, mort prématurément.
Entre-temps (1769), il a épousé Claudine-Antoinette Vimal, héritière de florissants papetiers d’Ambert, « montés » à Paris parfaire leur réussite… Devoir conjugal accompli malgré l’ingratitude, le carriérisme ostentatoire et la misogynie de son mari, elle meurt le 15 octobre 1789 lui laissant deux filles (Madeleine-Antoinette 1 et Augustine) et deux garçons (François 2 et Benoît- Marie) dont l’éducation le préoccupe à peine plus que celle de leurs sœurs ! La Ville, ses confrères, Frères et amis prennent en charge leurs frais de pensionnat et de collège.

Jean-François Gauttier, baptisé à Vodable le 24 octobre 1739. © Mairie de Vodable
Jean-François Gauttier, baptisé à Vodable le 24 octobre 1739. © Mairie de Vodable

En quête du Graal constitutionnel

Membre élu, en 1787, de l’assemblée provinciale, il publie, l’année suivante, Doléances sur les surcharges que les gens du peuple supportent en toute espèce d’impôts. L’ouvrage fait le tour de l’Auvergne, attire vers son auteur nombre de communautés rurales en quête d’aide pour rédiger leurs cahiers de doléances et, après des démarches obstinées, est présenté à la cour le 15 janvier 1789.Deux mois plus tard, le voici, ainsi que le discret maire de Billom, Huguet, désigné député aux États généraux, réunis à Versailles par Louis XVI à partir du 5 mai. Tous deux appartiennent à la loge maçonnique clermontoise de composition plutôt roturière, « Saint-Michel de la Paix », dont Gaultier de Biauzat deviendra le seul avocat Vénérable 3 . Plus tard, à Paris, il fréquente la « Grande Loge écossaise des Commandeurs du Mont Thabor » et les « Disciples de Salomon ».
À Versailles, souffle un vent de réformes, mais sans bourrasques dévastatrices. Sus à l’« Ancien Régime », certes, mais vive le Roi ! Cependant, au fil des surenchères, le 17 juin, les députés du tiers état, presque tous bourgeois (juristes, banquiers ou marchands), se déclarent « Assemblée nationale ». Renforcée par les représentants du clergé et une partie de ceux de la noblesse, le 20 juin, elle prête le serment dit « du Jeu de paume », s’engageant à ne pas se séparer sans avoir donné une Constitution à la France. Sur fond de grave crise économique, cette révolution enclenche la Révolution…
Pourtant, en 1790, la souscription lancée par la Société des Amis de la Constitution pour un tableau commémoratif confié à Jacques Louis David essuie un échec cinglant. Les dix mètres sur six de l’œuvre prévue ne verront jamais le jour. Au Salon de 1791, David en présente un grand dessin préparatoire d’un dynamisme épique rehaussé par un temps d’orage, celui de la grande histoire…

Le père du Puy-de-Dôme

De Paris et Versailles, la France se refonde. Clermont est loin mais bien informé grâce à la lecture publique des bulletins de victoire de Gaultier de Biauzat, co- fondateur du Journal des Débats. De Grande Peur en liesses populaires, le nouveau régime s’organise…
Le décret du 15 janvier 1790 de la Constituante stipule en son article 1 une « nouvelle division du royaume en départements [au nombre de 75 à 85], tant pour la représentation que pour l’administration » et précise que chacun sera composé de districts (de trois à neuf), eux mêmes divisés en cantons d’environ quatre lieues carrées chacun 4 . Reste à baptiser les quatre-vingt-trois finalement retenus en s’inspirant de leurs caractéristiques géographiques.
Dans cette logique, notre département doit porter le nom de Mont Dore, alors orthographié « Mont d’Or ». Gaultier de Biauzat s’interpose « afin d’éviter que l’on ne conçoive l’idée de richesse en prononçant son nom et pour prouver qu’il est plus facile d’y peser l’air que les écus », en référence aux expériences pascaliennes au sommet du puy de Dôme. Le département du Puy-de-Dôme est officiellement né, comme les autres, le 4 mars 1790 par lettre patente du roi.

Le nouveau département du Puy-de-Dôme...
© Bibliothèque du Patrimoine Clermont Auvergne Métropole
... Ou de Basse Auvergne !
Procès-verbal de démarcation et de division en districts et cantons, 14 mars 1790. © Archives
nationales
Le nouveau département du Puy-de-Dôme… © Bibliothèque du Patrimoine Clermont Auvergne Métropole … Ou de Basse Auvergne ! Procès-verbal de démarcation et de division en districts et cantons, 14 mars 1790. © Archives nationales

Gaultier de Biauzat, maire de Clermont et « suspect »

Au tour des maires d’entrer en piste. En vertu des lois du 24 janvier 1790, une municipalité clermontoise est élue ; à sa tête, jusqu’au 10 juillet 1791, Gaultier de Biauzat se comporte en républicain réformateur qui ne peut souscrire à la radicalisation révolutionnaire incarnée notamment par son confrère avocat et Frère maçon natif d’Orcet, Georges Couthon, ancien stagiaire dans son étude. Intransigeante, le 22 mars 1794 la Terreur range Biauzat parmi ses innombrables « suspects », l’arrête à Clermont et l’interne au couvent des ursulines. Heureusement, sa (mauvaise) santé vole à son secours à grand renfort d’ophtalmie inflammatoire de l’œil droit, de maux de tête et autre goutte. Mis en résidence surveillée le 7 juin, il retrouve la liberté le 21 août, à temps pour retrouver son siège de maire, du 5 novembre 1794 au 16 juillet 1795, et gérer une disette avec autant de fermeté que de psychologie. Et sa vie d’homme public se poursuit… L’assemblée électorale du Puy-de-Dôme, dont il dirige les débats à Thiers, le nomme haut-juré. À ce titre, il intègre la haute cour qui juge, à Vendôme, le conspirateur « Gracchus » Babeuf. Prix à payer pour avoir fomenté une « Conjuration des Égaux » : l’échafaud, en mai 1797.

Avant un ravalement de façade et depuis 1889, 40 rue Ballainvilliers, une plaque honorait la mémoire de Gaultier de Biauzat... © Nathalie Vidal
Avant un ravalement de façade et depuis 1889, 40 rue Ballainvilliers, une plaque honorait la mémoire de Gaultier de Biauzat… © Nathalie Vidal

Peuple souverain et cabaret

Durant le Directoire, Biauzat, éphémère député du Puy-de-Dôme au Conseil des Cinq-Cents (avril-mai 1798), fait preuve d’un républicanisme exemplaire, cherchant sans relâche à réconcilier, contre le danger royaliste, les ennemis d’hier. Après le coup d’État – dit du 18 brumaire – de Napoléon et Lucien Bonaparte, les 9 et 10 novembre 1799, ses liens d’amitié avec Cambacérès le propulsent, en juillet 1800, commissaire du gouvernement auprès du Tribunal criminel de la Seine, poste qu’il quitte en décembre 1810 pour devenir, jusqu’à sa mort survenue à Paris le 22 février 1815, conseiller à la Cour d’appel de Paris.

À ce symbole de la prise de pouvoir, à la faveur de la Révolution, d’une bourgeoisie enrichie éprise de réseaux, d’ambition et d’une Constitution qui rallierait à une élite éclairée un peuple lointain et redouté, à ce Constituant clairvoyant qui finit sa vie aveugle, la Ville de Clermont-Ferrand reconnaissante dédie, le 20 novembre 1880, son ancienne rue Neuve-Sainte-Claire.
Dans le Journal des Débats et de la Société des Amis de la Constitution du 19 novembre 1791, Biauzat résume parfaitement sa vision du peuple citoyen ; non sans condescendance, elle mêle nécessaire pédagogie et indispensable contrôle : « Je crois qu’il est très essentiel de bien apprendre au peuple quelle est sa véritable souveraineté, comment et dans quel instant il peut l’exercer, afin qu’il ne croie pas [être] souverain lorsqu’il se trouve rassemblé à cinq ou six dans un cabaret. »

© Archives nationales
© Archives nationales

1 / Avec son mari, l’avocat clermontois Jean Baptiste Abraham, ils sont les grands-parents d’un autre maire de Clermont-Ferrand, Agis-Léon Ledru.
2 / En 1791, il s’engage dans le 4 e bataillon des volontaires du Puy-de-Dôme où il gagne des galons d’officier.
3 / Les deux autres loges de Clermont sont « Saint-Louis » et « Saint-Maurice », la seule de la ville à ne compter aucun membre du clergé.
4 / Une lieue correspondait à environ quatre kilomètres.

Une éternité à Paris, au cimetière du Père-Lachaise (division 13).
D.R.
Une éternité à Paris, au cimetière du Père-Lachaise (division 13). D.R.

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Simonet

Historienne de formation universitaire, Anne-Sophie Simonet arpente depuis des décennies le « petit monde » clermontois de la presse. Auteur d'une dizaine d'ouvrages, c'est en tant que président de l'association Les Amis du vieux Clermont qu'elle invite à cheminer dans sa ville natale, la plume en bandoulière.

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