« Cette médaille, il faut maintenant la faire vivre ! » Ludovic Lemoine, sociétaire du Stade Clermontois n’a pas l’intention d’enfermer les 18 grammes de Tour Eiffel sertis de bronze dans une vitrine recélant déjà 73 autres médailles des trois métaux glanées dans les compétitions hexagonales, européennes et mondiales depuis 21 ans.
Le bain de foule accompagnant la parade Élyséenne des médaillés français autour de l’Arc de Triomphe fut un moment magique concluant l’exceptionnelle exposition médiatique des Jeux Paralympiques de Paris. Mais « le partage ne devait pas s’arrêter là » insiste Ludovic qui entend porter la bonne parole des valeurs qui sont les siennes dans les milieux scolaires et le public, sans oublier le ‘’rendu’’ aux partenaires qui lui ont permis d’atteindre son objectif ultime.
Le parcours de la résilience
Amputé de la jambe droite à l’âge de six ans suite à un cancer du fémur, l’enfant né à Vannes en mai 1986, se prit rapidement d’intérêt pour le jeu de la rapière avant de découvrir, encouragé par ses parents, les subtilités de l’escrime fauteuil. Sans avoir lu Charles de Gaulle, c’est donc au ‘’fil de l’épée’’ que le jeune breton allait se tourner délibérément vers l’action et la passion.
Cet engagement constant lui vaudra d’intégrer l’équipe de France dès 2003 pour toucher le bronze européen au fleuret. Trois ans plus tard, ce sera l’or mondial au sabre en même temps qu’il décidait de venir respirer l’air de l’Auvergne. Titulaire d’un DUT gestion des entreprises et des administrations obtenu à l’IUT de Vannes, il poursuivait sa formation à Clermont avec une licence d’économie puis un master management des PME-PMI.
C’est au club La Rapière de Chamalières que Ludovic Lemoine continuait de fourbir ses armes avant de passer au Stade Clermontois en 2018. Le palmarès était éloquent avec l’argent Olympique de Londres en 2012 puis le Bronze de Rio en 2016 qui aurait bien pu être son dernier bâton de maréchal. « Capitaine de l’équipe de France pendant quatre ans, j’étais sorti des Jeux de Rio très fatigué mentalement et physiquement. Et puis il y avait eu la naissance de ma fille, j’avais besoin de prendre du recul. Est-ce que cela valait le coup de continuer ? »
Rallumer le feu
Multimédaillé au fleuret et au sabre à tous les niveaux de compétition, Ludovic Lemoine décide donc de lever le pied mais en gardant le contact avec la compétition. L’esprit libre, sans pression, il continue d’obtenir de bons résultats…que du bonheur quoi !
Et puis voilà que le 13 septembre 2017 Paris se voit confier officiellement l’organisation des JO de 2024. « Depuis ma jeunesse j’ai toujours été passionné par les Jeux ; alors, à Paris, comment laisser passer ça ! » Du coup, le breton de Clermont-Ferrand remet le sabre au clair pour décrocher de l’argent et du bronze aux championnats d’Europe fin 2018. « La flamme est rallumée ! ».
Sollicité pour postuler aux Jeux de Tokyo, Ludovic Lemoine monte en puissance mais le Covid vient couper son élan, le privant des dernières épreuves de sélection et du voyage au Pays du soleil levant. « Déception bien sûr mais je savais que le travail entrepris ne serait pas perdu dans la perspective de PARIS 2024…mon objectif ! » De fait, les résultats allaient être au rendez-vous dès le début des épreuves de sélection en novembre 2022 et le nom de Lemoine s’inscrivait bien vite sur la liste des postulants aux podiums parisiens.
Sauf que, n’ayant pas fait Tokyo, les ‘’soutiens’’ de l’agence Nationale du sport ou du ministère ne seraient pas tout à fait à la hauteur des besoins pour assumer les ambitions Paralympiques. « Nos principaux adversaires sur la scène internationale sont pros. En France, disons que nous sommes des semi-pros ! » Exemple avec les déplacements pour les championnats du monde et d’Europe qui sont pris en charge par la Fédé mais laissés à la charge des athlètes pour cinq épreuves de Coupe du monde et les compétitions nationales.
« J’ai besoin de vous ! »
Depuis 2015, Ludovic Lemoine bénéficie d’un emploi chez un banquier compréhensif (la preuve que ça existe !) qui lui laisse les coudées franches pour assumer ses obligations sportives dont une bonne quinzaine d’heures d’entraînement hebdomadaires, quand cela n’est pas 25 ou 30, physique ou technique avec son maître d’arme Ndoffene Ndiaye. Sans compter le temps passé à préparer les dossiers et peaufiner la communication sans laquelle il serait vain d’espérer.
« Ce n’est pas vraiment le fond de commerce de notre discipline mais si nous voulons attirer des partenaires il est indispensable de valoriser notre image sur les réseaux sociaux. » Place à des professionnels de la com, y compris pour rebooster un site internet devenu obsolète et mettre en place une stratégie d’approche des entreprises. Au-delà du soutien apporté par les collectivités (région, département, Clermont Métropole) le partenariat privé reste décisif pour boucler un budget préolympique de 125 000 € sur les trois ans qui ont précédé les JO.
« Je vais tout donner pour atteindre cet objectif mais pour cela, j’ai besoin de vous » clamait-il alors sur son site à l’attention des mécènes et sponsors dont les fonds devaient passer par la caisse du Stade Clermontois garant de leur sécurisation. Au programme des contreparties : Conférences, contacts avec les salariés et team building sur le thème ‘’résilience et handicap’’.
Et maintenant ?
Au bout du compte, notre bronzé du fleuret affiche la satisfaction du devoir accompli ; son projet s’est révélé payant avec le petit truc en plus des 20 000 € de la médaille. « Imposables, ça fera disons 16 000 nets et sur les quatre ans de l’Olympiades…330 € par mois » s’amuse t-il à calculer avec un clin d’œil. Rien à voir évidemment avec les 85 000 € quotidiens du sieur MBappé.
Aux cotés du toulousain Maxime Valet, le troisième mousquetaire de l’équipe de France Damien Tokatlian, clermontois d’origine naturalisé bordelais, affichait 54 printemps. Los Angeles 2028 pourrait-il être un nouvel objectif pour Ludovic qui n’a que 38 ans ?
« J’ai déjà passé 21 ans sur le circuit mondial et depuis deux ans mon corps me lance des alertes. Tous les muscles au-dessus de la ceinture sont très sollicités, le dos notamment. Une tendinite au coude m’a déjà valu de passer par le CHU…non, non, les JO c’est fini ! »
Il est vrai que hors compétition les athlètes para doivent assumer parfois durement la vie de tous les jours. Il en va de Ludovic avec ses béquilles. S’il avoue avoir toujours réussi à trouver un équilibre entre ses vies sportive, professionnelle et personnelle, il entend plus que jamais partager la médaille avec sa famille.
« …allez, encore un ou deux ans de compét, mais juste pour le plaisir ! »
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