Pas si fou que ça l’Antoine ! À son époque, dans la seconde moitié du XIX e siècle, les hôpitaux pédiatriques français étaient équipés d’une « âsinerie » d’une bonne vingtaine de femelles destinées à allaiter les gamins faibles, prématurés ou orphelins de mère, décédée en couche. Pauvre en lipides, caséines – volontiers allergisantes – et autres protéines 1 mais riche en vitamines et oméga 3 aux vertus anti inflammatoires, le très digeste lait d’ânesse s’avère, comme le défend Antoine Francon, celui qui « ressemble le plus au lait de la femme. » Et le savant de développer des arguments-massues : « Les trois quarts des femmes en France, à cause la dégénération physique, sont incapables d’allaiter leurs enfants ; mais la nature, toujours mère envers les hommes, leur présente dans le lait de l’ânesse une nourriture parfaite et toujours supérieure au lait de la femme. J’enseigne qu’il est absolument nécessaire que l’enfant tette l’ânesse parce que les faits prouvent que l’allaitement artificiel est néfaste aux enfants.
« Depuis Moïse jusqu’à Victoria »
[C]ependant le lait de chèvre nourrit très bien les enfants, pourvu [qu’ils] tettent les chèvres. […] On m’a représenté que l’allaitement par les animaux pouvait rendre stupides les enfants ainsi nourris. Je réponds que les enfants allaités par des chèvres ou des ânesses sont plus beaux, plus sains, plus vigoureux que les enfants allaités par des femmes et qu’ils sont intelligents comme les autres. » Na !Dans son propos, adressé en 1867 à l’éphémère hebdomadaire clermontois La Mouche clermontoise 2 , l’enfant élevé à l’air « corrompu par les immondices des culs-de-sac » de Mirefleurs précise qu’il n’est même pas nécessaire de « lever par précaution un pied de devant » de la nounou à quatre pattes tant elle se montre maternelle pour « son » petit à deux jambes.
Néanmoins, les bienfaits du lait d’ânesse et de chèvre ne suffisent pas à occuper l’esprit mousseux du sieur Antoine Francon, préoccupé par rien moins que le devenir du monde. À la fois autoproclamé penseur, professeur de médecine et guérisseur, il s’affiche également comme écrivain, auteur des Causes de la grandeur et de la décadence des colonies depuis Noé jusqu’à nos jours, historien « Des progrès et de la décadence du christianisme ou « biographe critique des hommes illustres, depuis Moïse jusqu’à Victoria, Napoléon III et Garibaldi » et, surtout, exégète complaisant de lui-même !
« Dégénération » en génération…
« J’enseigne que l’Occident est incapable de fonder des colonies à cause de la faiblesse de ses lois. J’enseigne les causes du choléra, de la peste, de la fièvre jaune et de la fièvre typhoïde. Mes écrits seront utiles aux généraux et aux soldats, aux souverains et aux sujets, aux prélats et aux religieux. J’écris pour la France, l’Europe, l’Afrique, l’Asie et l’Amérique. » Seule l’Océanie semble oubliée, ou épargnée, par les fulgurances franconiennes !
En vertu de ses visions planétaires, le voici regretter le bon vieux temps de nos ancêtres les Gaulois qui brûlaient judicieusement les filles publiques. Parallèlement, il part en croisade contre le jeu, « folie du luxe » ; les « désastres » du mal vénérien ; l’adultère « qui ruine vingt familles clermontoises sur cent » ; la cuisine au beurre dégoulinante de scrofules 3 ; les vêtements « qui ôtent à l’homme le quart de ses forces » et l’instruction, idée fixe de ces « sophistes abominables qui vont faire périr la France en dégoûtant les jeunes paysans de la terre ».
Sans doute Antoine Francon avait-il quelque peu perdu la boussole, mais pas le Nord, la preuve : « Avis aux lecteurs – A. Francon traite par correspondance gastrites chroniques, dartres, scorbut, rhume, ophtalmie et lèpre. Toute lettre qui renfermera une valeur, adressée à l’auteur, rue Blatin, maison Monate, recevra réponse sans retard. »
1 Sauf une, le lysozyme, à l’action antimicrobienne et antibactérienne reconnue.
2 Prédécesseur de L’Auvergnat, lui-même annonciateur de L’Auvergnat de Paris, en 1882.
3 Altérations de la peau avec inflammation des ganglions, jadis fréquentes chez les enfants mal nourris.
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