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Angélique du Coudray. Des airs de matrone et une rue-impasse clermontoise, à Champradet. Lithographie, Villain (1833) - © Académie des sciences, belles-lettres et arts de Clermont. / © A.-S. Simonet
Angélique du Coudray. Des airs de matrone et une rue-impasse clermontoise, à Champradet. Lithographie, Villain (1833) - © Académie des sciences, belles-lettres et arts de Clermont. / © A.-S. Simonet
Chroniques

Angélique du Coudray, star du « mannequinat » !

Mais si, la reine-mère des sages-femmes est, officiellement, une gloire auvergnate. Et elle a vraiment fait beaucoup pour la libération de la femme !

Née Le Boursier à Clermont-Ferrand, en 1712, mais peut-être à Paris (1) le 27 août 1714 (2), ou en 1715 (3), Angélique du Coudray n’a rien perdu de son aura du siècle des Lumières puisqu’une bande dessinée, disponible depuis le 3 mai 2023 (4) , retrace son œuvre au service de la mère et de l’enfant dans un pays où l’accouchement était la première cause de mortalité féminine, de malformations infantiles et séquelles en tout genre, tant pour la mère que pour le bébé. La preuve avec un proverbe normand vérifiable dans tout le royaume : « Femme grosse, / A un pied dans la fosse ».
Le fait est que, des siècles durant, dans la France éloignée des hôpitaux, sévissent matrones et autres ventrières. Souvent illettrées et dépourvues de toute connaissance en obstétrique ou anatomie, leur rôle se résument à faire naître le bébé et à l’accompagner sur le parvis de l’église pour son baptême. Dans ce double but, au Moyen Âge, magie et superstition jamais à court d’imagination se bousculent pour prescrire, par exemple, de mettre du poivre dans les narines des parturientes pour favoriser l’accouchement grâce aux éternuements !

Femmes « sages » contre hommes chirurgiens

Changement de cap avec Louis XIV qui préfère les chirurgiens aux sages-femmes – qui avaient pourtant accompagné les dix royales mises-bas de Marie de Médicis et les deux d’Anne d’Autriche – tant pour les six accouchements de Marie-Thérèse d’Autriche que pour les huit, légitimés, de ses maîtresses. Le choix du Roi-Soleil attise le conflit entre les sages-femmes et le corps médical, qui s’intéresse de plus en plus à l’obstétrique et dispute au « sexe faible » son monopole sur les naissances.
L’histoire se répétant inexorablement, quelque trois siècles plus tard, malgré la loi du 25 janvier 2023 qui érige les maïeuticien(ne)s en une profession de santé à part entière, les sages-femmes se sentent sans doute entendues mais toujours pas vraiment écoutées…
Écoutée, critiquée, protégée et sûre de son talent, Angélique Le Boursier, veuve du Coudray, le fut assurément. Sa brillante et novatrice carrière fait dates…

Un beau carnet d’adresses

Quand bébé prend trop ses aises... © Bibliothèques de l'Université Paris Cité
Quand bébé prend trop ses aises… © Bibliothèques de l’Université Paris Cité

Adoubée par la confrérie des chirurgiens de Saint-Côme (26 septembre 1739), le 21 février 1740, voici Angélique du Coudray officiellement diplômée au terme d’une formation menée de mains de maîtresse sage-femme jurée (5) du Châtelet de Paris par Dame Anne Bairsin.
Devenue, à son tour, maîtresse sage-femme du Châtelet, pendant une douzaine d’années elle délivre sa science et moult femmes dans le quartier du Marais de la capitale, auprès d’une clientèle bourgeoise et aristocratique qui lui fournit un beau carnet d’adresses, pimenté d’un précieux réseau de relations : André
Levret, membre de l’Académie royale de chirurgie, accoucheur de Marie-Josèphe de Saxe (mère de Louis XVI) et professeur réputé dans toute l’Europe ; Turgot, plus épris d’économie politique que de Dieu ; Jacques Necker, futur directeur général des Finances puis ministre d’État de Louis XVI, et surtout le célèbre chirurgien d’origine tarbaise Jean Baseilhac, alias Frère Côme depuis son entrée dans les ordres, en 1729.

« À moi Auvergne ! »*

Le 22 janvier 1751, comme la plupart de ses consœurs, elle s’adjoint une «apprentie », Madeleine Françoise Templier – veuve du boulanger Fourcy –, qui paie 300 livres le privilège de la suivre pendant trois ans. À la maîtresse sage-femme d’assurer maternellement le quotidien de sa protégée… C’est alors que le seigneur auvergnat philanthrope, Monsieur de Thiers, « monte » à Paris en quête de quelqu’un capable d’instruire quelques femmes de paysans de ses domaines dans l’art de l’accouchement. Sur les conseils de Frère Côme, ce sera Angélique du Coudray, qui se sépare de son apprentie et arrive dare-dare à Thiers, le 1 er octobre.
En guise de comité d’accueil, une situation sanitaire déplorable et une cabale des matrones et chirurgiens locaux, mais aussi le soutien de Monsieur de Thiers, qui la gage, et de l’intendant de la Michodière qui lui fait obtenir une imparable licence pour exercer à Clermont-Ferrand, à partir de 1753. Là, Angélique comprend qu’un enseignement théorique, même traduit en patois, ne saurait être efficace auprès « [d’] esprits peu accoutumés à ne rien saisir que par lessens ».
Parallèlement, sensibilisé à ce problème par l’accouchement prochain de son épouse, en février 1759, de Ballainvilliers, le nouvel intendant de 1758 à 1767, l’encourage alors qu’elle vient de mettre au monde la première technique visuelle de simulation médicale…

*Devise du 105e R.I.

Un mannequin de compétition !

Lorsque, en 1756, apparaît « la machine que la pitié [lui] avoir fait imaginer », elle affiche les traits d’un mannequin flexible hyperréaliste. Bâti autour d’un vrai bassin osseux de femme, il montre, pour mieux les expliquer et les reproduire, les différentes phases de l’accouchement, les diverses positions du bébé et les manœuvres nécessaires en cas de difficultés ; même les jumeaux ne sont pas oubliés. Quant à l’appareil génital de la femme, représenté hors grossesse, il s’avère d’une remarquable fidélité anatomique avec ses vingt et une petites étiquettes cousues permettant aux élèves d’identifier chaque élément.
Prix : 500 livres pour le modèle de luxe en cuir et soie rouge, 300 pour le modèle de base, en tissu. Néanmoins, aussi ingénieux et utile soit-il, le mannequin d’Angélique n’est pas uniquement sorti de son imagination. En effet, dans la première moitié du XVIII e siècle, en Suède, Angleterre et France (par l’accoucheur Grégoire), des « machines » à accoucher furent réalisées. Au cours de ses études, Madame du Coudray a vraisemblablement eu connaissance de ces innovations et s’en est inspirée…

La fameuse « machine » du Coudray © Musée Flaubert et Musée d'histoire de la médecine de Rouen
La fameuse « machine » du Coudray © Musée Flaubert et Musée d’histoire de la médecine de Rouen

Un livre et une onction royale

1759 – Un vade-mecum pour sages-femmes et chirurgiens. © BnF
1759 – Un vade-mecum pour sages-femmes et chirurgiens. © BnF

Sa « machine » séduit le premier chirurgien du roi et les académies de chirurgie et de médecine de Paris tandis qu’Angélique accouche, en 1759, d’un Abrégé de l’art des accouchements, vendu « 50 sols relié ». Publiée en 1777, la seconde des cinq éditions françaises est augmentée de vingt-six planches en couleur, gravées sur cuivre à l’eau forte par Jean Robert, et de prix, porté à sept livres quatre sols.
Le 19 octobre 1759, un brevet de Louis XV – confirmé par un second, du 18 août 1767 – lui confie une royale pension annuelle de 8 000 livres aux fins de répandre sa science dans tout le royaume, « sans que, sous aucun prétexte, elle puisse y être troublée ».
En « VRP » de luxe, transportée, logée, chauffée et nourrie, Angélique du Coudray part faire des petits, poupons et livres sous le bras. Un exemplaire étalon du mannequin doit être conservé à la « mairie » de chaque localité visitée à l’intention de l’un de ses disciples chirurgiens car les modèles de démonstration s’usent et doivent, aux frais de la cité, être réparés ou reconstruits à l’identique. Et quand un médecin de Brioude doute que des femmes acceptent de prendre des leçons d’obstétrique auprès d’un « mâle », Ballainvilliers s’agace : « Ceux qui connaissent et aiment vraiment le bien ne le sacrifieront pas à une pudeur déplacée. »

Étapes d’un « Tour de France »

Les voyages de du Coudray l’emmènent, dira-t-on, au château de Chavaniac (1757) pour faciliter l’accouchement difficile de Marie-Louise du Motier, mère de La Fayette, puis à Moulins (1761), Auch (1762), Châlons-sur-Saône, Tulle et Limoges (1763) – où le jeune intendant du Limousin, Turgot, lui réserve un accueil de choix –, Angoulême et Fontainebleau (1764), Poitiers (1765), Rochefort-sur-Mer (1766), Compiègne et Montargis (1767), Bourges et Issoudun (1768), Caen (1775) – où elle exige quatorze copies de sa machine à 100 écus pièce et un appartement avec huit lits de maître et deux de domestiques ! –, Angers, Le Mans et Tours (1778)…
Mais ses déplacements ne sont pas toujours un long fleuve tranquille. Ainsi à Plauzat, en 1759, l’annonce par le curé de son arrivée provoque la tonitruante réprobation de la matrone Brunet ; finalement le village se contentera de la visite de l’apprentie de la maîtresse sage-femme. Même fronde de la part des chirurgiens de Bordeaux, qui résistent farouchement sept ans à sa venue, enfin autorisée en 1770.

9 mai 1778 – son élève chirurgien Charles Le Sage est déclaré « bon pour le service » par A. du Coudray et René Prudhomme de la Boussinière, président del’élection et subdélégué du Mans. Coll. D r Jacques Girard (†)
9 mai 1778 – son élève chirurgien Charles Le Sage est déclaré « bon pour le service » par A. du Coudray et René Prudhomme de la Boussinière, président de l’élection et subdélégué du Mans. Coll. D r Jacques Girard (†)

Exemption de taille et de corvée

En quelque vingt-cinq années, Angélique forme quelque 5 000 accoucheuses et des centaines de chirurgiens « démonstrateurs ». Mandatés par la ville-étape, ils entendent poursuivre son enseignement dans la continuité des six à huit semaines de leçons de Madame du Coudray. À Clermont, Blancheton commence, dès 1761, à « apprendre gratuitement la théorie et la pratique de l’accouchement ». À la fin des cours, les élèves sages-femmes sont soumises à un examen public à l’issue duquel les candidates aptes se voient octroyer un certificat d’exercice à faire valider par la communauté des chirurgiens et parfois, ainsi que leur mari, une exemption de taille et de corvée personnelle des chemins royaux pendant toute leur vie professionnelle… Le but de ses avantages est de généraliser le recours à leurs services. Bien sûr, elles doivent posséder un Abrégé de l’art des accouchements, à payer le plus souvent de leurs propres sols
ou livres !

De tante en nièce

Inexorablement, le temps qui passe rattrape Madame du Coudray, femme de savoir et d’affaires. Handicapée par des crises de goutte et un embonpoint certain, elle délègue de plus en plus le soin de la remplacer dans ses « tournées » à sa nièce, Marguerite Guillomance, qui l’accompagnait déjà depuis 1768, et au chirurgien bordelais Coutanceau. « Démonstrateur » d’Angélique en 1770, il épouse Marguerite, en 1773. Devenue l’une des seules sages-femmes professeurs d’accouchement, Madame Coutanceau a contribué à asseoir la profession de sage-femme en donnant beaucoup d’éclat à ses remises de diplômes. Une bonne dose de par cœur, une pincée de réflexes conditionnés et des « T.P. » sur les fameux mannequins, voilà la France prête à faire enfin de beaux enfants et accessoirement la Révolution ! Par la volonté de la Constituante, le pays reconnaissant octroie, le 24 mars 1791, un « secours » de 3 000 livres à Angélique du Coudray, bienfaitrice de l’humanité féminine souffrante qui s’est préoccupée – une nouveauté à l’époque – du bien-être physique et psychologique des mamans…

Mars 1791 – « Née le 27 août 1714, [...] 31 ans de services » et 3 000 livres © BnF
Mars 1791 – « Née le 27 août 1714, […] 31 ans de services » et 3 000 livres © BnF

Pour services rendus

« En attendant le moment de délivrer la femme, on doit la consoler le plus affectueusement possible, son état douloureux y engage ; mais il faut le faire avec un air de gaité qui ne lui inspire aucune crainte de danger. Il faut éviter tous les chuchotements à l’oreille qui ne pourraient que l’inquiéter et lui faire craindre des suites fâcheuses. […] Si elle recourt à des reliques, il faut lui représenter qu’elles seront tout aussi efficaces sur le lit voisin que si on les posait sur elle-même, ce qui pourrait la gêner… » Moins généreuse, la Terreur lui délivre néanmoins un salvateur certificat de civisme pour services rendus.
Dans un royaume rural, dépeuplé à répétition par les guerres et les épidémies, le cran d’Angélique du Coudray, décédée à Bordeaux le 16 avril 1794, réussit à bousculer les blocages de son temps au service d’un indispensable et sensible recul de la mortalité infantile. Sa détermination et son sens de la pédagogie ont aussi, et paradoxalement, contribué à officialiser la médicalisation de l’accouchement, donc la primauté des chirurgiens qui s’étaient tant opposés à elle.

Acte de décès A. du Courdray © Registre des décès, Ville de Bordeaux, 17 avril 1794.
© Registre des décès, Ville de Bordeaux, 17 avril 1794.

1 Cf. infra : registre des décès de la Ville de Bordeaux Sud.
2 Collection générale des décrets rendus par l’Assemblée nationale (mars 1791) et sanctionnés ou acceptés par le roi.
3 Selon, entre autres sources, Olivier Caudron, conservateur général des bibliothèques.
4 Adeline Laffitte et Hervé Duphot, La sage-femme du roi, éd. Delcourt (Paris), 17,95 €.
5 Choisie par ses « collègues » pour faire respecter les règlements de sa profession et solutionner les litiges. 

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Simonet

Historienne de formation universitaire, Anne-Sophie Simonet arpente depuis des décennies le « petit monde » clermontois de la presse. Auteur d'une dizaine d'ouvrages, c'est en tant que président de l'association Les Amis du vieux Clermont qu'elle invite à cheminer dans sa ville natale, la plume en bandoulière.

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