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Photo Eric Gauthey.
Chroniques

Une lecture du voyage

Une même terminaison rassemble voyageur et lecteur, le deuxième étant souvent un caractère autant qu’un indice du premier lorsqu’il s’agit de son goût pour la littérature de voyage.

Lecteur, le voyageur cultive sa passion nomade à domicile et, sans sortir de ses murs, poursuit ou précède ses échappées pour découvrir le monde par mots interposés.

Un dialogue se noue alors entre les choses vues et celles lues. Le regard et la pensée se confrontent ou se confortent. Lire après entretient le voyage. Lire avant peut le susciter. J’avais ainsi choisi, en 1997, d’aller en Ethiopie vérifier, comme l’écrivait JC Guillebaud dans « La Porte des Larmes », s’il faut s’émerveiller là ou d’autres meurent.

Voyager dans le temps

J’ai récemment replongé mon regard dans les mots de Russel Banks (Voyager). Un passage plus particulièrement m’avait interpellé quand il résume le voyage à se rendre dans le passé : « A notre époque, les voyages que nous choisissons sont en grande partie des voyages dans le temps ». En grande partie ne veut pas dire en totalité et voyager ne renvoie donc pas qu’au temps (passé) mais ce sera peut-être l’objet d’une prochaine chronique.

On croirait donc découvrir un monde en marche pour finalement se projeter dans notre histoire, celle des lieux, des Hommes et, parfois, d’un récit personnel ?

J’ai passé en revue les voyages et mes voyages. Russel Banks n’a peut-être pas tort.

On descend le Nil (en fait on le remonte aussi) mais c’est bien pour se confronter à 42 siècles qui nous contemplent du haut des pyramides. Je n’y suis pas allé. C’est donc une assertion gratuite, ce qui ne serait pas le cas parlant de la Basilique St Marc ou du palais de l’Alhambra, des architectures viennoises d’Otto Wagner ou du forum romain, du marché de Kashgar ou des églises de Lalibela, entres autres expériences. Le poids de l’enfance lui-même pousse aussi au choix de voyages dans le temps

Des rêves d’enfant

Précisément, et j’éviterai ainsi de payer un psy, ce sont bien les heures passées, enfant, dans les albums photo de mon père, à feuilleter les pages cartonnées, à écarter les feuilles de papier cristal, à rêver sur ces petites photos noir et blancs, jaunies, aux bords crénelés et qui traçaient sans commentaires ses années indochinoises qui font, à peine le pied posé en Asie du Sud Est, qu’une satisfaction immédiate et indicible m’envahit. L’histoire de la France, coloniale, l’histoire de civilisations, disparues, l’histoire plus récente, de drames et de reconstruction, l’histoire de mon père, mon histoire, par héritage.

J’avais alors à l’école une appétence sans effort pour l’Histoire et la Géographie. Le sens sans conscience de leur importance dans notre récit d’Homme et, en conscience cette fois, ces cours me portaient, immobile sur ma chaise d’écolier, dans des ailleurs physiques et temporels de curiosité, d’imaginaire et d’émerveillement. Plus et mieux que le programme de maths qui passait des gouttes d’eau dans la baignoire aux formules et formes abstraites. La crise de la patate me parlait plus que leur intersection !

En 1992, au pied du krach des chevaliers, pas très loin d’Homs en Syrie, je me retrouvais en culottes courtes fasciné par les murs imposants comme je l’étais, enfant, par sa photo dans le manuel d’Histoire ; l’imaginaire d’alors revenant à la surface. L’histoire plus contemporaine s’appréhendait également des créneaux de la citadelle, embrassant d’un regard le Liban alors encore déchiré et occupé.

Et pourquoi ne pas enfin envisager que croiser la vie immuable – de moins en moins – d’un village du désert syrien[1], d’un hameau du haut Ladakh, d’une étape éthiopienne comme d’une virée en pirogue sur la mer de Bali ou encore manger un chapati sur un tcharpaï dans la poussière de la route procèdent d’un même rapport au temps dans le voyage ?

Voyageur occidental, la saveur particulière de ces moments rares, simples et rustiques ne revient-elle pas finalement, comme arpenter les temples d’Angkor ou déambuler dans les failles de Petra, à vivre ce qui n’est plus ?

A vos stylos ! Comme au bac, vous avez deux heures !

[1] C’était, je le rappelle, en 1992.

À propos de l'auteur

Eric Gauthey

Né avec la crise des missiles de Cuba, son enfance, ses études et ses premières années de la vie d’adulte furent nomades.
Au début des années 90, il émigre à Clermont-Ferrand pour se sédentariser. Son métier, non moins sédentaire, l’engage dans le service au public (transports publics de l’agglomération clermontoise).
Le voyage reste sa passion, pour ses vacances mais pas seulement. Cofondateur d’Il Faut Aller Voir et du RV du Carnet de Voyage, il pousse jusqu’à publier deux ouvrages : « Cher Bouthan » – 2011 et « Buna Tatu » - 2017 (sur l’Ethiopie).

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