Aujourd’hui, je vais vous parler des blaireaux. Je crois que c’est un sujet qui vous touche personnellement parce que vous avez tous, dans votre entourage, un, ou mieux, plusieurs blaireaux.
Le blaireau est un animal nocturne, son pelage est gris et blanc avec des pointes plus foncées, on l’appelle aussi « blaireau européen », mais surtout, le blaireau est un animal qui m’intéresse particulièrement parce qu’il ne change pas de terrier. Et si on le déloge de son terrier, au lieu de bouder et de partir très très loin comme on le ferait tous à sa place, il va en creuser un autre à seulement quelques mètres.
Moi, professionnellement ; je suis un blaireau.
Un vrai de vrai. Je n’ai jamais quitté ma terre natale, l’Auvergne, le Puy de Dôme, pour monter à Paris. Je suis écrivain. Mon métier consiste à écrire des histoires la moitié du temps, et l’autre moitié à répondre le plus calmement possible aux gens qui me disent « mais sinon, tu fais quoi dans la vie ? Non mais vraiment ? Ton vrai métier ? ». Il se trouve que ça marche plutôt bien pour moi. Et c’est génial. Mais il y a une autre question qui me gêne, et c’est de cela dont je veux vous parler, et cette question, c’est : mais avec tout ce qui vous arrive, vous n’êtes pas allée habiter à Paris ?
Paris, à nous deux.
C’est étrange. Il faudrait partir pour réussir. Pire encore, il faudrait habiter ailleurs pour prouver qu’on a réussi. Ça me gêne. Vraiment. La réussite en tant que telle, ne peut pas être décrite de manière générale, la réussite, c’est personnel, individuel, c’est comme la sexualité, ça ne regarde que vous (surtout si vous êtes célibataires.) On ne peut pas donner une définition claire, générale, de la réussite, tout comme on ne peut pas donner une définition claire et générale de la valeur d’une œuvre, d’une création. Mais il n’empêche que c’est dans la création, littéraire, qu’est née cette injonction à partir à Paris et pour Paris : Maupassant, Zola, Balzac, Stendhal, Flaubert. Paris à nous deux, il faut monter pour réussir. Parce que la campagne, c’est salissant, faire de l’argent dans l’agriculture, c’est tout de même moins somptueux que de réussir en art, en économie, en politique.
Mais il y a autre chose : les seules personnes qui m’ont sorti la fameuse phrase « mais tu n’habites pas à paris ? » ne sont pas des parisiens (en vérité, les vrais Parisiens n’existent pas, un parisien, c’est un provincial qui trouve ça normal de payer une bière à huit euros) mais des Clermontois.
Des gens d’ici.
Comme s’ils étaient déçus. C’est quoi le problème avec nos villes ? En y réfléchissant bien, il me semble que le lien qu’on entretient avec son lieu de naissance, son lieu de vie quand on n’a pas pu partir, c’est comme le lien qu’on entretient avec ses parents à l’adolescence : on les aime bien, mais parfois, ils nous foutent un peu la honte. Souvenez-vous, en soirée, quand vos parents devaient venir vous chercher, c’était toujours un moment compliqué…
En d’autres termes, la campagne, ce qu’on appelle assez vulgairement, « la province », ne serait pas digne du talent de ceux qui y sont nés.
Je trouve cette idée très répandue, et assez triste. Je ne crois pas que l’herbe soit plus verte ailleurs (surtout en Auvergne), je pense qu’actuellement on assiste à ce syndrôme Instagram, qui est le résultat contemporain de ce que la littérature classique a fait de Paris : on a tous des filtres dans la tête sur toutes les images qui s’offrent à nous quand on parle de la capitale, de tout ce qu’on peut potentiellement y faire, de qui on peut rencontrer, du rêve de la soirée où l’on tombe sur la personne qui va changer votre vie.
Mais le milieu parisien, je ne sais même pas s’il a existé, pour de vrai, ce fameux milieu. J’ai préféré rester sur les bords, tranquillement.
Pourquoi, chers Clermontois, devriez-vous partir pour réussir ? Pourquoi succomber au fantasme du grand départ ? Après tout, si l’on considère qu’on est arrivé à ce point de réussite à partir duquel on fait uniquement ce que l’on veut, on peut faire ce que l’on veut à partir de n’importe où, de n’importe quel lieu ! Paris serait non seulement la cause et la conséquence de la réussite sociale ! C’est étrange parce qu’on peut écrire un livre, même dans un pays comme le Cantal, et l’envoyer par la Poste, pour un prix bien plus raisonnable que celui d’un café en terrasse rue de Rivoli. On a les moyens de faire ce que l’on veut, depuis n’importe quel endroit.
Ce qui m’étonne, c’est à quel point on est parfois mal à l’aise avec son lieu de naissance, ou son lieu d’apprentissage. Comme si rester, c’était aussi rester dans l’enfance, dans l’adolescence, refuser de passer à l’âge adulte, et de ce fait, refuser la possibilité de la réussite. Moi je crois qu’aujourd’hui, la plus belle preuve de réussite, c’est justement de dire : j’ai les moyens de choisir l’endroit où je me sens bien, j’ai la force d’aller où je veux. De dire que la réussite n’est pas une question de lieu, mais que le lieu qu’on choisit, lui, est une question de réussite.
Certes la réussite ne se résume pas à Paris mais parfois c’est la seule issue après cinq ans de chômage à Clermont ! Partir est parfois la seule façon de sortir les pieds de la glaise même si c’est à contre coeur
Isabelle
merci Cécile pour ce post qui m’a été relayé.
Je vous rejoins totalement, ayant fait le choix de m’installer et de vivre dans le Cantal en tant que consultant sur des sujets non bovins…
Je dirais juste que partir permet pour certain(e)s de mieux savoir pourquoi ils choisissent tel ou tel lieu pour s’installer. Mais qu’être bien, là où l’on est né, est une belle option également.
Pour Paris, je pense qu’il y a un vrai trauma avec l’Auvergne mais c’est une autre histoire…
Post qui sonne juste ! Merci pour votre article. Rester où l’on est né ou partir (à Paris ou ailleurs) : être heureux de son choix, c’est effectivement ça la réussite.
Signé : une Auvergnate d’adoption.
C’est d’autant plus vrai dans le monde artistique.
Car il est un aspect du problème que tu n’as oublié de mentionner : celui de la concurrence. Combien de musiciens, artistes se sont sentis obligés de « monter » à la capitale, persuadés que leur succès en dépendait ; pour se retrouver ensuite noyés dans une immense population de créateurs, identiques à eux-mêmes. Tellement semblables d’ailleurs, que seuls ceux qui arrivent à transcender un genre, une discipline, parce qu’ils proposent quelque chose d’unique, peuvent en émerger.
Morale :
On ne saurait trop conseiller aux followers,
de rester en Province dans les jupes de leur mère.
Pour eux, il n’est pas d’autre avenir à Paris,
que celui d’employé de rayon à Simply…