Au début des années 2000, l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Clermont traversait quelques turbulences existentielles qui avaient le don de tellement distraire le « conseiller Billy » qu’un jour il me murmura malicieusement : « Je vous suggère de proposer ça pour qu’on s’amuse encore un peu. » Une fois un calme de bon aloi revenu, « cité à comparaître » devant ladite Académie, il lui a offert un exposé aussi brillant que gouleyant sur ses souvenirs de magistrat. Extraits…
Gourmande de décorum, la justice raffole de respect accommodé à toutes les sauces de serments possibles, pour les juges (1) peseurs de tabac, garde forestiers, garde-chasse, huissiers, notaires, témoins et jurés qui, sans doute au nom de la laïcité républicaine, doivent garder religieusement le secret des délibérations.Coquettement désuète, la justice joue ses rôles en robe de serge noire, simarre (2), toque d’une audace architecturale décoiffante, gants blancs et épitoge noire garnie de peau de vulgaire lapin en guise d’hermine ! En fait, plus le justiciable est susceptible de se faire « habiller », plus ses juges sont élégants !
« Faites reposer les armes »
En des temps pas si anciens, le show des audiences correctionnelles se résumait à une trentaine de sketches qui se succédaient au rythme effréné de la petite délinquance, devant un public avide qui organisait des paris sur les décisions à venir.
En cour d’assises, intensité dramatique et protocole de rigueur. « Mesdames et Messieurs, la cour ! » En tête, le président, drapé dans sa dignité et un uniforme rouge, encadré de deux assesseurs en rouge et noir. Mêmes coloris pour le représentant du ministère public, suivi des neuf jurés et d’un peloton de gendarmerie. Baïonnette au canon, il présente les armes à l’entrée et à la sortie des juges et lorsque le président prononce un jugement. Quelle voluptueuse fierté pour lui de commander : « Faites reposer les armes. » Mais quelle frustration de ne pouvoir faire réglementairement exécuter ses prérogatives ! D’où l’ire d’un président d’assises cantaliennes, victime d’intempestifs caprices météorologiques qui lui font passer ses nerfs sur les Ponts-et-Chaussées, jugés coupables de « nous avoir fait rater notre entrée » !
Évolution ou progrès ? Aujourd’hui, l’orgueil des magistrats n’a plus que les audiences solennelles de rentrée judiciaire et les prises de fonction de nouveaux magistrats pour perpétuer l’apparat d’antan. Oublié le « baisement des reliques », obligation annuelle pour chaque magistrat dûment endimanché de présenter ses vœux au premier président et au procureur général de son ressort. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, ceux-là pouvaient recevoir les visiteurs en robe de chambre et les faire raccompagner par leur valet ! Oublié aussi, même s’il alimente encore quelques bons souvenirs, ce discours d’un Premier président riomois accueillant « son » Garde des sceaux en des termes restés plus fameux que la météo du jour : « Ce matin, nous étions inquiets. Le ciel était sombre et menaçant, mais nous n’avons pas perdu confiance ; nous nous sommes dit : “Il fera beau puisqu’il sera là”. »
Brèves de prétoires
Enfin et surtout, François Billy se délecte de quelques boulettes parties de bonnes intentions et arrivées seulement à faire rire ! Florilège riomois…
Pour tenter de préserver la paix des ménages, l’homme de loi n’hésite pas à affirmer que tel déménageur, baraqué à souhait féminin et trouvé par hasard, à une heure indue, chez une dame sans doute mal mariée, n’était dans son lit que pour l’aider à déménager !
En fin psychologue, un président de cour appelle à la barre un gosse de 12 ans en lui murmurant : « Approche, mon petit, n’aie pas peur, la cour aime bien les petits garçons. » Pour rassurer un auditoire pour le moins troublé par de tels aveux, il s’empresse d’ajouter : « Et aussi les petites filles. »
Gardien vigilant des textes de lois, le juge est parfois chatouilleux sur le respect des règles syntaxiques. Choqué par les effets oratoires d’un jeune avocat clermontois cherchant désespérément à apitoyer la cour sur le malheur de son client, le président lui rappelle sèchement l’ordonnance de Villers-Cotterêts (3), l’ayant respectueusement assuré de se conformer à toutes les ordonnances en vigueur, l’orateur poursuit son massacre grammatical. Au troisième rappel à l’ordre, la sentence tombe : « Les plaidoiries doivent être prononcées en français. »
La séance est levée !
(1) Entre 1940 et 1944, l’État français leur fit jurer fidélité, ce qui – roue tourne oblige ! – n’en empêchera pas beaucoup de se muer en épurateurs zélés…
(2) Bandes de satin noir de part et d’autre de la ligne de boutons.
(3) Par laquelle, en 1539, François Ier imposa que le français remplaçât le latin dans tous les actes officiels.
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