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Le « fléau » fiscal n’a pas d’âge... Pieter Brueghel-le-jeune (1564-1637), Le paiement de la dîme - © musée du Louvre, Paris.
Chroniques

Mal dans son « assiette »…

Confinement ou pas, défiant les lois de Dame nature, au printemps les feuilles tombent et se ramassent parfois au rappel !

Trésorerie de Pontaumur, 8 janvier 1997 – « Malgré la lettre de rappel[1], l’acte de poursuite1 qui vous a été notifié, vous n’avez pas encore payé les impôts, taxes et produits dont le montant figure ci-contre. Je suis au regret de vous faire savoir qu’à défaut de paiement, je serai dans l’obligation de poursuivre le recouvrement de cette somme. »

Parvenu fébrilement à ce point culminant de la dramaturgie fiscale, trois scénarii au dénouement sans surprise attendent le délinquant. Par « voie de commandement, retenue sur les sommes dues par des tiers ou saisie », l’État spolié rentrera dans ses fonds en récupérant l’objet du délit, quel que soit son montant.

Aucun doute, aussi imaginative que la Monarchie, la Révolution s’est dépêchée de remplacer les abhorrés taille, dîme, capitation, dixième, vingtième, champart, aides et gabelle par des patentes, taxes (d’habitation, foncière, professionnelle) et prélèvements directs ou indirects, forcément tout aussi honnis.

À Rome, les contribuables versaient leurs impôts dans une corbeille, le fiscus.
Herculanum, Casa dei Cervi – D.R.

Inventaire à la Prévert…

À la fortune de l’impôt contemporain, ayons une pensée émue pour la juteuse et injuste TVA (Taxe à la valeur ajoutée), née en 1954, étendue au commerce de détail en 1966 par le ministre de l’Économie Valéry Giscard d’Estaing ; la perfide vignette automobile, instaurée à titre provisoire par le gouvernement Guy Mollet en 1956 pour alimenter le Fonds national de solidarité des personnes âgées, supprimée en 2000 sans que le moindre vieux ait eu le plaisir de la remercier avant de mourir ; le dogmatique I.G.F. (Impôt sur la grande fortune, 1982) rebaptisé I.S.F (Impôt de solidarité sur la fortune, 1988) puis I.F.I. (Impôt sur la fortune immobilière, 2018) ; la traîtresse C.S.G. (Contribution sociale généralisée, 1990) ou l’illusoire R.D.S. (Remboursement de la dette sociale)… Et, bien sûr, notre – trop – cher I.R.P.P., Impôt sur le revenu des personnes physiques. Porté par la gauche et vilipendé par la droite, il voit officiellement le jour le 15 juillet 1914 après des campagnes de presse virulentes et un débat législatif farouche conduit par le ministre des Finances, le radical Joseph Caillaux, dont l’épouse crève le plafond des scandales[2] !

Pour rendre un Auvergnat heureux…
Dessin, B. Delfour, 1997 ; éd. BOS, Ytrac – Coll. A.-S. Simonet.

« Razzia dans [les] poches » 

« Généreusement » servies en tranches, les goûteuses recettes fiscales aiguisent la gourmandise fiscale du député radical Louis Loucheur qui, le 13 décembre 1925, s’ouvre l’appétit dans les colonnes du monarchiste Soleil d’Auvergne : « Les citoyens de la République ne souffrent vraiment pas assez de la situation lamentable de l’État. […] Nous allons faire la razzia dans leurs poches. […] Il faut qu’ils suent huit milliards de plus par an. Ils commencent à oublier leur Victoire [de 1918], ça la leur rappellera. Ces gens-là paient un timbre six sous. Vous avouerez que c’est dérisoire de bon marché. Et le tabac, messieurs ! Un paquet de cigarettes de l’État, dit “Caporal”, se vend 1,50 F [0,87 €]. C’est inadmissible !

Comme le « bon » Monsieur Loucheur serait comblé de savoir qu’en juin 2020, un paquet de Gauloises brunes filtre vaut 10,60 €, dont 8,48 € de taxes !

Pauvres de nos ancêtres, « humbles sujets » du roi de France qui, au seuil de la Révolution et au fil des cahiers de doléances, notamment celui de Parent, gémissiez contre « un seul et véritable tyran, le fisc, fléau occupé nuit et jour à enlever l’or des couronnes, l’argent des crosses, l’acier des épées, l’hermine des robes, le cuivre des comptoirs, le fer des charrues et jusqu’à l’airain des cloches »… Et pauvres de nous, citoyens-sujets qui, chaque printemps, offrons à la Ve République un cadeau de quelque 75 milliards d’euros d’impôt sur le revenu, le descendant direct de la taille du Régime dit « ancien ».

Dernier avis : le « fléau » fiscal nous cassera toujours les pieds en nous brisant les reins !

Au château de Tournoël, mesures de la dîme, impôt sur les récoltes dû à l’Église.
Carte postale – Coll. Louis/Françoise Saugues.

 

 

[1] « Rayez la mention inutile ». 

[2] En mars 1914, Mme Henriette Caillaux assassine le directeur du Figaro, Gaston Calmette ; elle sera acquittée après que son mari eut fait nommer l’un de ses amis ministre de la Justice.

 

 

 

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Simonet

Historienne de formation universitaire, Anne-Sophie Simonet arpente depuis des décennies le « petit monde » clermontois de la presse. Auteur d'une dizaine d'ouvrages, c'est en tant que président de l'association Les Amis du vieux Clermont qu'elle invite à cheminer dans sa ville natale, la plume en bandoulière.

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