Les Salins : place aux souvenirs
Si aujourd’hui, la place des Salins accueille la gare routière, le marché le dimanche matin et le nouveau théâtre de La Coupole en plus d’être un austère parking, il fut une époque où il y régnait une autre activité. « Cette place a été un centre de distraction pour les Clermontois. Il y avait une grande foire annuelle avec des manèges qui partait des Salins jusqu’à Jaude avec plein de commerçants et de camelots. Ça faisait une sortie à une époque où il ne se passait pas grand-chose. Ça reste malgré tout un centre d’activités de la ville, surtout au moment du Festival du Court-Métrage que j’ai vu naître à l’initiative d’une bande de passionnés. Il n’y avait qu’eux qui pouvaient y croire. Preuve qu’à Clermont, on peut faire des choses contrairement à ce que prétend le cliché encore trop répandu de “ville noire où il ne se passe rien”. Les Salins, c’est aussi un souvenir de la légende du Tour de France. » Jean-Marc Millanvoye a écrit en compagnie de son ami, le champion cycliste Raphaël Geminiani, Il était une fois Anquetil (La Martinière, 2017) à l’occasion des 30 ans de la disparition d’Anquetil. « C’était en 1964, à l’occasion de l’étape du Puy-de-Dôme et du fameux duel Anquetil / Poulidor. Le soir même de l’étape, il y avait une grande fête place des Salins. C’était l’événement. Et le lendemain, c’était le départ de l’étape suivante des Salins pour rejoindre Orléans avant la dernière étape, le 14 juillet 64, où Anquetil signait sa victoire face à Poulidor. Aux Salins, tout le monde courait derrière Anquetil et encore plus derrière Poulidor. Pour moi, Anquetil représentait la modernité des années 60, tout comme Mick Jagger ou Cassius Clay. C’était une icône, il incarnait le progrès, l’intelligence de la course. Et avec Geminiani, ils formaient un couple rock’n’roll. C’étaient les Keith Richards et Mick Jagger du cyclisme. Alors que Poulidor représentait la France en noir et blanc, la France d’avant. Des fans de cyclisme du monde entier rêvent de voir à nouveau le Tour sur les pentes du Puy-de-Dôme. Christian Prudhomme, le directeur du Tour de France, m’a dit : « on attend que ça. Mais, il semblerait qu’il y a des blocages à Clermont… » Espérons que ça se débloquera un jour. »
Le puy de Dôme pour repère
« C’est un lieu commun de dire ça, mais le puy de Dôme est un point de repère pour les Clermontois. Quand ils rentrent de voyage et qu’ils l’aperçoivent, ils disent “on est chez nous”. C’est ce que disait Fernand Raynaud aussi. Un personnage que j’aimais beaucoup. Il s’est tué tragiquement en 1973 au Cheix-sur-Morge alors que des amis l’attendaient place de Jaude pour lui faire une petite fête. Il s’est écrasé contre le mur du cimetière après avoir été gêné par une bétaillère. Ça aurait pu faire une histoire de Fernand Raynaud cette fin tragique. Fernand Raynaud, ce n’était pas du tout l’humour bon enfant, c’était le reflet de la société. Coluche a dit de lui qu’il était plus dur que lui. Pour en revenir au Puy-de-Dôme, c’est un repère et ce que j’apprécie, c’est qu’on le voit de la Place de Jaude et du haut de la rue des Gras. Il est là, tout près. Et donc, le Puy-de-Dôme, c’est aussi la fameuse étape du Tour de France 64. »
Connen : un lieu essentiel
Le fameux disquaire de la place de Jaude ayant migré il y a fort longtemps à quelques dizaines de mètres de là au 9 rue Lamartine, a fortement contribué à l’éducation musicale des Clermontois. « Dans les années 60, écouter du rock et monter un groupe, ce n’était pas facile. Il y avait deux lieux essentiels, chez Connen et chez Monsieur Rey, les deux vendaient des instruments de musique. Dès qu’un nouveau disque des Beatles et des Stones sortait, on se précipitait chez Connen. Et il en sortait beaucoup. C’étaient les très sympathiques vendeuses de chez Connen qui nous conseillaient. Elles connaissaient leur sujet. Ce sont elles qui m’ont fait découvrir Otis Redding, notamment. Je n’en avais jamais entendu parler auparavant. On écoutait les disques dans les cabines. Tout ça nous a permis de monter un groupe de rock dans les années 60. Le rock faisait peur aux gens à l’époque. Jérôme Pietri avait une guitare électrique chez lui, il était considéré comme le diable en personne. »
Vercingétorix, un résistant
« La statue est aussi un point de repère. Vercingétorix était un résistant. Ça ne me déplaît pas qu’il ait mis une torgnole à Jules César à Gergovie. Il avait été nommé chef des armées. Il a organisé la bataille. Jules César qui pensait que personne ne pouvait lui résister, arrivé là, il est tombé sur un os. La statue sculptée par Auguste Bartholdi qui a également fait la statue de la Liberté à New York et le Lion de Belfort entre autres, on ne savait pas où l’installer. Elle a fait le tour de Clermont au début du XXe. Aux Salins, au rectorat, finalement, quelqu’un a eu la bonne idée de l’installer place de Jaude. Sa particularité, c’est qu’on lui met des drapeaux en fonction de l’actualité. En mai 68, des malpolis lui avaient mis des drapeaux rouge et noir. Chaque fois que l’ASM va en finale, c’est l’occasion d’y accrocher le fanion du club. À l’occasion du retour du Tour de France dans la région, on lui a mis un drapeau du Tour. Ça marque les diverses manifestations qui se déroulent à Clermont. C’est devenu un rituel, chaque fois, on va planter un drapeau en haut de la statue de Vercingétorix. Après avoir passé le bac en 1968, on a fait la fête place Chapelle de Jaude où il y avait des petits bistrots. Ce soir-là, on a fait le serment de se retrouver dix ans plus tard, le 11 juillet 1978, au pied de la statue Vercingétorix pour voir ce que nous étions devenus. On avait noté ça sur une carte d’identité, un permis de conduire, ce qu’on avait sous la main. Sur les vingt signataires du serment, on s’est retrouvé dix ans plus tard à cinq ou six au pied de Vercingétorix. »
Le quartier Ballainvilliers, chargé d’histoire
Depuis la Place de Jaude, inévitable, la balade dans le sillage de Jean-Marc Millanvoye nous entraîne un petit peu plus haut en altitude du côté du quartier Ballainvilliers que « notre » homme aime arpenter: « Il y a d’abord le café Ballainvilliers qui date de 1877, c’est l’un des plus anciens de Clermont. Le quartier est agréable avec ses terrasses. On y retrouve la rue d’Enfer derrière l’ancienne école des Beaux-Arts. Ça m’a toujours amusé de voir que la rue d’Enfer était reliée à la rue Saint-Esprit par la petite place Ballainvilliers. Rue d’Enfer, c’est là où est né mon ami Pierre Juquin (député et candidat à la Présidentielle en 1988) avec qui j’ai eu le plaisir de travailler. Pierre Juquin a fait ses études à l’ancien lycée Blaise Pascal, un lieu que j’aime beaucoup pour son architecture. Le bâtiment remonte au XVIe, c’était d’abord un couvent de jésuites avant d’être transformé en lycée qui a été transféré avenue Carnot où j’ai été élève dans les années 60. L’ancien lycée Blaise Pascal est symbolique parce que, contrairement à ce qui est raconté dans le film « Le chagrin et la pitié« de Marcel Ophuls qui fait passer Clermont pour une ville collabo pendant la seconde guerre mondiale, il y a eu beaucoup de résistants à Clermont et, au sein du lycée Blaise Pascal, il y avait un réseau de résistance animé par le journaliste et cinéaste Claude Lanzmann alors qu’il avait 18 ans. J’ai découvert ça en lisant son livre, « Le lièvre de Patagonie » (Gallimard, 2009). Je rends toujours hommage au courage qu’on eût ces jeunes gens. Et aujourd’hui, l’ancien lycée Blaise Pascal, c’est aussi le futur avec le Conservatoire et l’école de danse. J’aime bien passer dans ce lieu de temps en temps. Blaise Pascal, c’est aussi sa fabuleuse expérience démontrant l’existence du vide. Il fallait être auvergnat pour démontrer ça. Peut-être que sans son expérience, nous n’aurions pas de météo aujourd’hui. Pas très loin, on trouve la Jetée pour permettre aux équipes du Court-Métrage de travailler sereinement. La première fois que j’ai rencontré mon ami Jean-Claude Saurel, le Président du festival, c’était au Ballainvilliers, un soir d’été dans les années 60. Il tenait un verre de Pastis à la main, affublé d’une soutane et il chantait “Le curé de Camaret”. On l’appelait déjà “Le diable”. »
Etape au pied de l’Obélisque
Au pied de la rue Ballainvilliers trône l’Obélisque, communément appelé la Pyramide par les autochtones. Un monument à la mémoire du général Louis Antoine Charles Desaix, né à Ayat-sur-Sioule vers Saint-Eloy-les-Mines en 1768 et mort à 31 ans durant la bataille de Marengo en 1800. « Qualifier le monument de pyramide n’est pas tout à fait idiot. Le sculpteur (Joseph Chinard) a fait ce monument en faisant référence à la campagne d’Égypte qu’avait menée Desaix. Il lui a donné un style égyptien. C’est une fontaine avec un obélisque en son centre. J’aime bien l’histoire de ce général. Je n’ai pas une passion pour les militaires, mais ce qui me plait chez lui, c’est qu’il a choisi la république bien qu’issu d’une famille noble. Comme beaucoup d’aristocrates, sa famille a émigré au moment de la Révolution. Lui a choisi de rester. Il a été nommé général par le Comité de Salut Public. Il a été d’un courage exceptionnel dans toutes les batailles napoléoniennes. C’est un personnage respecté dans la région. Et la “pyramide”, c’est souvent un lieu de rendez-vous. » Vous aussi, vous vous êtes laissé embarquer par ce raconteur d’histoires ? Et encore, on ne vous dit pas tout. Jean-Marc Millanvoye, un gars qui fait pour l’Auvergne.
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