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Chroniques

Le temps qui passe

Dans un voyage organisé, planifié, réglé comme du papier à musique, qui plus est accompagné de congénères, les heures défilent au rythme d’un métronome implacable.

Il vous enferme dans l’imparable exigence du mouvement qui vous ramène, inéluctablement, au départ. La projection l’emporte sur la contemplation.

Quelle différence pour un voyage solitaire où l’intention remplace le programme.

Le rapport au temps y est alors tout autre, lorsque l’on se livre à l’aléatoire, posant en principe que la découverte et les rencontres construisent le chemin pour faire le sel de ces escapades hors de notre giron quotidien. 

L’instant du voyage

Il peut même en être ainsi le but et le plaisir.

Parenthèse, il suspend le temps qui passe, il s’affranchit des heures qui s’écoulent pour trouver parfois une rareté, l’instant, richesse perdue dans nos sociétés effrénées, toutes entières tournées vers le lendemain. Seule la date fatidique du retour reste en maître inavoué de la saveur du moment.

L’habitude de ces voyages pousse même, pour moi en l’occurrence, à une autre curiosité.

Ce sentiment, posant le pied sur le tarmac de Phnom Penh, de Leh ou de Yogjakarta, d’être le même, à chaque fois, qu’à mes premiers voyages, il y plus de 30 ans.

Ces mêmes sensations, ces mêmes appétences, cette même libération, laissant dans les soutes mes bagages, et dans le vestiaire nos impédiments. Ne plus s’attacher à devoir être, mais simplement tenter d’être soi.

Subtile saveur, impardonnable illusion.

La rencontre apporte souvent son verdict et ramène à la réalité. L’Autre est là, non pas miroir, mais révélateur. Car ce n’est pas mon image qu’il me renvoie mais bien son regard.

« Everything’s allright, baba ? ». Que me dit ce serveur attentionné de Borobudur, avec ce baba qui instinctivement me fait tordre le nez ? Interprétation difficile. Phonétiquement je le reçois peu amène.

Merveille de la toile, je ne tarderai pas à comprendre que mes rides et mes cheveux blancs ne l’ont pas trompé. 

Baba. Du Turque. Père, au sens du patriarche. Comme bapu en hindi. Les splendeurs de l’empire ottoman ont répandu ce terme sur les routes marchandes, le bassin méditerranéen et plus loin encore. Il est aujourd’hui largement utilisé dans de nombreuses langues pour marquer sa déférence à l’âge et sa sagesse supposée.

La sentence est ainsi tombée et mes premiers voyages se réinscrivent dans l’horloge, la vraie, celle du temps qui passe. Comme une boucle aussi.

Mes premiers pas dans l’ailleurs, dois-je l’avouer, n’étaient pas exempts d’une vague allure baba cool, ce « père tranquille ».

 

 

À propos de l'auteur

Eric Gauthey

Né avec la crise des missiles de Cuba, son enfance, ses études et ses premières années de la vie d’adulte furent nomades.
Au début des années 90, il émigre à Clermont-Ferrand pour se sédentariser. Son métier, non moins sédentaire, l’engage dans le service au public (transports publics de l’agglomération clermontoise).
Le voyage reste sa passion, pour ses vacances mais pas seulement. Cofondateur d’Il Faut Aller Voir et du RV du Carnet de Voyage, il pousse jusqu’à publier deux ouvrages : « Cher Bouthan » – 2011 et « Buna Tatu » - 2017 (sur l’Ethiopie).

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