Il est un mot qui vient du fond des âges et du fond des tripes en roulant au fond des gorges comme les galets au fond du gave de Gavarnie.
Il est un mot qui fait péter les conventions en un « cri libertaire du caca opprimé »[1].
Il est un mot qui a réponse aussi immédiate qu’instinctive à tout (étonnement, désarroi, chagrin, colère, joie, dépit, admiration, enthousiasme, dégoût…) et même, raffinement suprême, à rien !
Il est un mot que les gamins apprennent plus vite que les autres tant il est gentiment interdit.
Il est un mot que les touristes prononcent avec une application égrillarde pour tenter d’apprivoiser cette satanée langue française, farcie de chausse-trapes.
Il est un mot vertueux qui faisait rosir les joues des jeunes filles de « bonnes » familles quand elles osaient le lâcher au détour d’un sage cours particulier de grec ou d’un courtois concours d’équitation.
« [Ç]a se sent, ça ne s’explique pas »
Il est un mot magique, capable d’ensorceler les godillots gauches en portant bonheur à leurs propriétaires, pourtant provisoirement embousés[2].
Il est un mot si culotté qu’il s’est alangui sans vergogne dans le quotidien versaillais du Roi-Soleil au point d’inspirer des textes bien torchés : « chaque pavé de la cour, chaque degré des grands escaliers d’honneur était ponctué d’étrons. Un vrai déluge de m… »
Il est un mot que quelques esprits constipés s’obstinent à ne pas associer à un gros besoin physiologique de l’humanité souffrante.
Il est un mot que Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901) a comparé à la peinture en précisant que, comme elle, « ça se sent, ça ne s’explique pas ».
Il est un mot trop peu grossier pour être vraiment ordurier et trop populaire pour être franchement vulgaire.
Un avenir assuré
Il est un mot que, tel un Gavroche, Victor Hugo ramassa dans le ruisseau pour l’expédier dans la morne plaine de Waterloo et la bouche du général Cambronne refusant de se rendre aux Anglais… Une occasion idéale pour faire flamboyer, dans le plus pur style hugolien, la plume de l’auteur des Misérables : « Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre. »
Il est un mot auquel l’atrabilaire Louis-Ferdinand Céline a promis des heures de gloire : « La m… a de l’avenir. Vous verrez qu’un jour on en fera un discours. »
Il est un mot, un seul, capable d’accomplir le prodige de puer en sentant bon la France !
Il est un mot aussi indispensable à toute journée que son café du matin et son Plus belle la vie du soir.
Il est un petit mot de cinq lettres qui en dit vraiment long. Merde alors !
[1] Éloge du pet sur des graffiti soixante-huitards.
[2] Maudit depuis que Judas s’assit à la gauche de Jésus, le côté gauche porte malheur. C’est pourquoi, marcher dedans du pied gauche est censé écœurer le mauvais sort et l’éloigner à défaut d’apporter un bonheur béat.
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