Le divers, l’altérité, l’exotisme. Seul et le reste du monde, à vélo, en car, en stop. A l’hôtel ou en couchsurfing. En groupe parfois. Guidé ou livré aux aléas du chemin. La liste est longue de ces modes voyageuses qui laissent croire au divers.
Et puis le réel est là quand, sur la route de l’aéroport d’Athènes à Plaka, fleurissent les enseignes connues : IKEA, Leroy Merlin, Auchan …Ou beaucoup plus loin, à Yogyakarta (Java), longeant un centre commercial Carrefour, plus imposant que nombre des multiples mosquées de la ville.
Le divers décroit
Partout, des modes vestimentaires aux – nouvelles – pratiques alimentaires, des habitudes de consommation à l’usage des langues, surfant sur nos appendices numériques, et jusqu’aux chambres climatisées là où, quelques années plus tôt, il n’y avait que des paillotes ou des pièces brutes en béton pour nous accueillir, peu de coins de notre monde échappent à ce sentiment d’uniformisation. On peut bien ici rejoindre Régis Debray pour rejeter le tropisme de la mondialisation et mieux en révéler les impérialismes[1].
« Le divers décroit » affirmait Victor Segalen… en 1908 ! Et pour être juste envers l’auteur, citons-le complètement : « Le divers décroît. Là est le grand danger terrestre. C’est donc contre cette déchéance qu’il faut lutter, se battre et peut-être mourir avec beauté ».
Le combat est-il perdu ? Il n’y aurait donc plus d’altérité à laquelle se confronter pour s’en nourrir ?
Les voyageurs le savent qu’elle est toujours présente pour qui veut la voir, tapie à l’ombre des foyers, exprimée d’un simple regard ou portée au grand jour jusqu’à pouvoir en exprimer une rage qui nous échappe[2].
Laissons simplement l’analyse du réel aux journalistes et aux voyageurs de métier. Par obligations professionnelles ou par la grâce de la durée, il leur incombe de se coller aux réalités du monde.
Voyageurs de congés payés, nos escapades sont trop courtes pour alourdir nos bagages de cette exigence. D’autant que l’uniformisation du réel ne nécessite aucun effort pour la percevoir.
Nous avons, les Hommes, l’âme bien faite qui nous autorise à succomber au ressenti, au sentiment, à l’indicible, qui nous permet de tenter alors, face au spectacle du monde, un regard poétique sur les choses et les êtres.
Cet Autre, c’est moi
Échapper au réel sans l’ignorer, c’est aussi se livrer à la force de ces rencontres. Mettre un temps ses convictions et ses préjugés de côté pour faire le vide et mieux l’emplir de l’altérité ; chacun, au retour, faisant le tri comme au tamis, selon sa sensibilité.
L’on pensera alors peut-être à Ryszard Kapuściński[3] : « Cet autre, c’est moi ». Parce que qu’il vit, meurt, mange, boit, aime, souffre, travaille, espère comme moi. Mais il y a toujours chez cet autre si semblable cette part infime si différente, l’essentiel de l’être, l’essentiel de soi, le carat disait Nicolas Bouvier, qui rassemble plus encore même si elle peut s’opposer.
Elle est la subsistance voire la résistance du divers.
Elle est l’essence du voyage et sans doute des Hommes. Au détour d’une crique grecque, comme au fin fond de la Hunza, avec un pécheur balinais comme face à un député bhoutanais, avec un guide ladakhi comme chez un hôte californien, accueilli par des policiers jordaniens comme déambulant avec un expatrié russe en Syrie …
[1] « Civilisation » de Régis Debray
[2] Voir aussi « lettre contre la guerre » de Tiziano Terzani
[3] Ecrivain et journaliste polonais
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