Pensant au (très) prochain voyage, l’actualité nous interpelle, plus qu’à l’ordinaire, sur l’état du monde et des destinations rêvées.
Un questionnement environnemental quand un média, marronnier ou révélation, fait état de l’impact de nos pérégrinations sur la planète[1]. L’aimer à tant vouloir l’arpenter pousserait alors, dans une prise de conscience toute théorique, à envisager ne plus la parcourir pour mieux la préserver, comme une œuvre trop rare et fragile pour être exposée à nos regards et à nos appétits.
Un questionnement politique, quand les roquettes pleuvent, quand les menaces vitupérantes font flores, quand les prisons débordent, quand les pratiques relèvent à nos yeux d’une revanche de l’espèce sur l’esprit et rougissent la carte du Quai d’Orsay. Ce qui reste moins concret comme effet que les migrations de populations ; elles qui, dans leur propre pays, ont perdu tout espoir.
Un questionnement social quand la mondialisation si mal nommée enrichit les uns et appauvrit les autres. Ils ont alors pour nos rivages les yeux de Chimène. Et qu’importe si la mort les attend au cours de la traversée.
Un questionnement tellurique quand la terre se rebiffe, quand elle tremble, crache ou submerge, emportant tout dans ses accès d’humeur, hommes, bêtes et végétaux jusqu’à effacer notre trace.
Un questionnement culturel quand le viatique de nos échanges repose sur le nom d’un footballeur millionnaire, quand le jogging de marque constitue l’uniforme de référence avec, comme seule nuance, trois ou quatre bandes. Et la concurrence n’est pas en reste. Nike veut dire victoire en grec. On voit bien de quelle amère victoire il s’agit aujourd’hui.
No trip!
Désespérant ! Il n’y aurait donc plus qu’à se rappeler à Voltaire et à notre jardin, se contenter de lire et relire, nostalgique, Segalen, Bouvier, Maillart et autres Loti, plonger dans les peintures d’André Maire ou de Yakovlev puis affirmer, crâneur, un churchillien : « No Trip ! » ?
Des adeptes le font, philosophes, dans un « mon monde me suffit » qui révèle parfois un manque total d’appétence (ils en ont le droit) au nomadisme quand ce n’est pas, moins dicible, une juste impossibilité à se le permettre.
D’autres, sélectifs, font le tri : pas de dictature, pas de misère, respect des droits des femmes et des hommes… Ils alimentent cet éternel débat que Jean-Claude Guillebaud résume si bien : « faut-il aller s’émerveiller là ou d’autres meurent »[2].
Certains choisissent les fonds bleus ou les cimes et déserts pour martyriser leur corps et transporter leur goût de l’effort pour seul bagage.
La plupart n’entrent finalement pas ou peu dans ces questionnements et savourent plus simplement l’instant présent d’une escapade dans l’ailleurs ; fondus dans des groupes grégaires qui protègent ou cultivant l’ignorance pour ne pas voir, tentant le bénévolat humanitaire en alibi moral ou s’exposant à une poétique du voyage pour dépasser l’irruption brutale du réel.
Un dialogue du divers des approches et des moyens avec une altérité qui souffre.
Sans doute n’y-a-t-il jamais eu autant de possibilités de parcourir le monde.
Sans doute n’y-a-t-il jamais eu autant de signes d’uniformisation des êtres et des mœurs.
Sans doute …
(suite à la prochaine chronique)
[1] Le Monde. 7.05.2018 : Selon une étude parue dans Nature Climate Change, l’empreinte carbone du tourisme mondial est responsable d’environ 8 % du total des émissions de gaz à effet de serre de l’humanité […] plus que le fret maritime. […] Aux Seychelles, le tourisme de masse génère 80 % des émissions nationales de C02.
[2] « La porte des larmes » (avec R Depardon)
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