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Sur sa toile Autour du piano (1885), exposée depuis 1986 au musée d'Orsay, Fantin-Latour immortalise les Wagnéristes dont, bien sûr, Emmanuel Chabrier, au piano. / © Photo RMN-Grand Palais / H. Lewandowski
Chroniques

De Richard Wagner au wagnérisme auvergnat

Le wagnérisme est à Wagner ce que le « beethovénisme » ne sera jamais à un autre maître universel de la musique, une façon d’appréhender, traduire et transmettre une influence, toutes formes d’art confondues. En France, où de défaite de 1870 en revanche attendue, tout ce qui fait référence aux Prussiens est proscrit, la pensée de l’auteur Wagner est néanmoins relayée par Verlaine, Mallarmé, Villers de l’Isle Adam, Stuart Merrill ou André Suarès, notamment via la Revue wagnérienne, mensuel paru de février 1885 à juillet 1888.

Persuadé que « l’œuvre d’art doit embrasser tous les arts particuliers et les faire coopérer à la réalisation supérieure de son objet », Wagner défend un art originel total qui se serait éclaté. Dans cette arborescence, la musique s’adresserait à l’émotion quand la poésie parlerait à l’entendement. D’où son rêve de les associer à la danse et au jeu de l’acteur pour aboutir, par fusion, à la synthèse tendant vers le Parfait artistique du drame lyrique.

Prophète précurseur de la nécessaire assimilation artistique, Charles Baudelaire énonce, dès 1861, sa théorie des « correspondances », fondatrice du wagnérisme français : « Comme de longs échos qui de loin se confondent / Dans une ténébreuse et profonde unité / Vaste comme le monde et comme la clarté, / Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. » À son tour la peinture se « wagnérise », notamment avec Henri Fantin-Latour (1836-1904) qui recherche des transcriptions musicales dans lesquelles l’éthéré du prélude de Lohengrin prend un aspect vaporeux. Le Ponot Charles Maurin (1856-1914), lui, en propose* une transposition picturale inverse, préférant au duo évanescent-flou le couple précision du trait-ligne mélodique. Également lithographe, sculpteur et graveur suisse naturalisé Français Félix Vallotton, Maurin participa à la réalisation de costumes de théâtre pour Sarah Bernhardt.

Deux rues « wagnéristes » à Clermont       

C’est en 1880 à Munich que, à l’écoute de Tristan et Isolde, l’Ambertois Emmanuel Chabrier (1841-1894) tombe en pâmoison, comme le rapporte la plume émue de Vincent d’Indy : « Le prélude allait commencer [l]orsque nous entendons, tout près de nous, de petits hoquets, d’autant plus spasmodiques qu’ils voulaient être étouffés. C’était Chabrier qui sanglotait : “C’est bête, peux pas me retenir, dix ans de ma vie que j’attends ce La de violoncelle”. » À la suite de cette révélation, le compositeur léger ose son opéra aujourd’hui oublié Gwendoline et connaît en 1889 la consécration suprême d’être reçu par la veuve de Richard Wagner. Sa description de Madame Wagner (« intelligente comme plusieurs singes, grande, maigre, des masses de cheveux, un grand nez, une grande bouche, des masses de dents ») et de cette inoubliable soirée sont brutes de décoffrage ! « Eva Wagner, une des filles, est venue me dire que sa mère avait à me parler. “Fichtre”, me suis-je dit, “pourvu qu’on ne me colle pas au piano pour jouer España. J’étais très inquiet. D’autant plus que si la mère Wagner me l’avait demandé, il n’y avait pas à refuser. C’est l’impératrice à Bayreuth. »          

Le wagnérien et wagnériste Jean Richepin. / D.R.

Romancier, auteur dramatique, librettiste de l’opéra de Jules Massenet Le Mage (créé à l’Opéra de Paris en 1891), matelot, professeur, journaliste, voire docker, le poète Jean Richepin (1849-1926) est connu essentiellement pour son recueil La chanson des gueux (1881) et un wagnérisme fervent. En janvier 1887, il donne à la Revue wagnérienne un poème inspiré du Vaisseau fantôme. Vingt ans plus tard, La Musique pour tous publie son texte élogieux sur la musique moderne, très inluencée selon lui par Jean-Jacques Rousseau et « issue de Berlioz et de Wagner ». 

Pour en savoir plus

Frédéric Gagneux, André Suarès et le wagnérisme, éd. Classiques Garnier, coll. Études de littérature des XXe et XXIe siècles, 2009.

*Au musée Crozatier du Puy-en-Velay.

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Simonet

Historienne de formation universitaire, Anne-Sophie Simonet arpente depuis des décennies le « petit monde » clermontois de la presse. Auteur d'une dizaine d'ouvrages, c'est en tant que président de l'association Les Amis du vieux Clermont qu'elle invite à cheminer dans sa ville natale, la plume en bandoulière.

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