La fin anonyme de ce couple clôt l’une des nouvelles de Ramita Navai[1]. La plus sombre sans doute qui raconte la destinée funeste d’un couple « de gauche », militant de la révolution islamique aux premières heures, mais que le pouvoir des mollahs finira par broyer. En Iran aussi, la révolution ne se partage pas.
Voyager est également passer des choses vues aux choses lues, de l’impression à la réalité, du sentiment à l’analyse. L’Iran s’expose magistralement à cet aller-retour, sans rien enlever aux unes, sans rien celer aux autres. Plusieurs réalités pour une même destination.
J’ai vu ces voiles parfois tomber ou juste retenus par un chignon. Pas une simple coquetterie. J’ai lu ce témoignage : « Quand je marche (…) je croise toujours au moins deux femmes qui ont les cheveux à l’air, comme moi, sans peur. On se sourit. Ce sourire est comme mille mots »[2]. Mais l’on lit aussi que celles condamnées pour une mèche rebelle ne sourient guère.
Je n’ai pas mille mais cinq cents mots pour cette chronique, et mon voyage en Iran, comme mes lectures ou les films et reportages vus, ne m’autorisent pas à disserter sur ce pays. Ils m’imposent juste de ne pas m’en tenir au seul paysage.
Le jour et la nuit
Jean-Paul Mari a le verbe sûr, et l’expérience comme le talent pour évoquer la nuit des brutalités sans limite des Hommes et notre jour préservé, l’espérance des opprimés. Je reprendrai volontiers ce jour et cette nuit à mon compte mais, pour l’Iran, inversés.
Les nouvelles de Ramita Navai en sont encore une fois la longue démonstration. De celle que l’on ne voit pas au jour du voyage, mais à la nuit de la lecture.
Le voyage est diurne, comme l’est la soumission au jour des mollahs. C’est à l’ombre protectrice et nocturne que l’Iran s’en échappe et que les libertés se tentent, toutes, mais toujours menacées, poursuivies, réprimées.
Elles resurgissent parfois à la lumière dans ces confondants sourires qui introduisent si souvent une supplique « Surtout dites-leur, nous ne sommes pas des terroristes ! ». Ne jamais confondre gouvernants et gouvernés. Cela vaut pour l’Iran comme pour les Etats-Unis.
Au jour du voyage, l’Iran présente un visage sans lien avec un quelconque obscurantisme, sans manifestation évidente des genoux pliés sous la force, sauf à tomber par hasard sur l’une des fréquentes mobilisations de foule dont les médias semblent peu diserts. Il faut lire la nuit pour mettre des mots sur les maux et les espérances, pénétrer à l’ombre des portes closes[3] pour découvrir la subtilité des réalités iraniennes et ne pas s’en tenir à celles vues ; toutes exemplaires qu’elles soient.
Ces réalités lues n’enlèvent rien à celles vues. Bien au contraire, et ici avec une force rare, elles s’additionnent au lieu de s’opposer. Le jour et la nuit iraniens se répondent dans une profondeur et une imbrication magistralement illustrées par les films d’Ashgar Farhadi et tout particulièrement A propos d’Elly. La nuit de son personnage (sa disparition) en apparaît maintenant – le voyage en Iran fait – une éloquente parabole.
La magie de ce pays n’en supprime pas la souffrance, toujours des mêmes, que la force brute écrase, d’où qu’elle vienne.
A publication de cette chronique, les menaces sont plus fortes, la vie quotidienne plus rude, les tensions plus vives, et « nul ne sait comment demain se déguise » (Omar Khayyâm).
[1] Ramita Navai. « Vire et mentir à Téhéran ». Editions Stock/ Collection 10/18. 2015
[2] Aasoo. Site de défense de la communauté des Bahais/ Los Angeles/Aasoo.org/ Dans Courrier International n°1475/7-13 février 2019
[3] Derrières les portes closes de Stephan Orth. Editions Payot/ Collection Payot Rivages. 2016
Commenter