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Course Landaise - Domaine Public
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La « grande » tradition tauromachique de Ceyssat

Ce dimanche a lieu à Ceyssat un événement tauromachique. Selon la Mairie, le comité des fêtes et les éleveurs locaux il ne s'agit pas de faire souffrir les animaux. Il n'est bien entendu pas question de mettre leurs intentions en doute. Cependant, il nous semble intéressant de se questionner sur les tenants et les aboutissants d'un tel événement en plein cœur de l'Auvergne.

Une communication et une réalité équivoque…

L’affiche peut laisser la place au doute. Tout y est sauf le mot qui fâche. Corrida.

Et en effet, il n’y aura pas de corrida, ni de mise à mort volontaire des bêtes. En dehors de cela, tout le folklore sera bien présent à Ceyssat ce dimanche 4 août : que ce soit par le visuel choisi pour l’illustration, souligné des célèbres « Olé », une interjection à l’origine utilisée lors des corridas, la participation d’une « cuadrilla en habits de lumière » (pour les non-initiés, une cuadrilla est « l’équipe de toreros placés sous les ordres du matador et qui affrontent, à pied ou à cheval, le taureau » – source wikipedia), et on célèbre toute la culture tauromachique au sens large en organisant une « course landaise » et des « jeux de vachette avec participation du public ».

Enfin, la tête d’affiche, la « Ganaderia Aventura » : vous non plus vous ne saviez pas ce dont il s’agit ? Et bien une ganaderia est le lieu d’élevage des vaches et taureaux destinés aux corridas.

Le site internet de l’entreprise ne mentionne que l’activité de courses landaises, et il n’y a pas lieu de penser qu’ils font autre chose que cela, car les éleveurs de taureaux destinés à périr dans les arènes n’ont pas l’air de chercher à se cacher. Mais le choix du vocabulaire, là encore, laisse songeur : dans la grande famille des courses de taureaux, on aime à préciser qu’on ne maltraite pas les animaux, mais on aime pourtant beaucoup se réclamer de cette tradition.

Le Collectif Auvergne Anti-Corrida pointe d’ailleurs du doigt cette communication qui laisse planer le doute.

Au-delà de cette communication, il y a également les faits récents de souffrance animale dans un cadre assez similaire : lors des fêtes de Bayonne, la semaine dernière, une vachette a dû être euthanasiée suite à une fracture des vertèbres. Point de corrida. Simplement une course de taureaux.

Fêtes de Bayonne 2019 – Une vache aux vertèbres brisées lors d’une course de taureaux – (c) Marion Vacca-Hans Lucas

A Aimargues dans le Gard, le 16 juillet, lors d’une fête de village, un homme a été blessé à la cuisse par un taureau. Encore une fois, pas de corrida et surtout un cadre similaire.

Sans parler des 35 blessés durant les fêtes de Pampelune de cette année… Mais l’échelle de l’événement est, de toute évidence, bien différente !

Une loi et une jurisprudence qui elle, l’est moins…

L’article 521-1 du code pénal réprime les actes de cruauté contre les animaux : « Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende« . Ce texte, est une mise à jour d’un texte du 2 juillet 1850 connu sous le nom de Loi Grammont. La Cour de Cassation, par arrêt du 16 février 1895 a clairement indiqué que cette interdiction de mauvais traitement incluait les courses de taureaux.

Cependant, suite à de nombreuses protestations locales dans le sud du pays, la loi Ramarony-Sourbet du 24 avril 1951 pose une exception à ce principe dans son alinéa 7. Elle indique que la loi ne s’applique plus aux courses de taureaux « si une tradition locale ininterrompue peut être établie ».

Difficile de faire plus flou et arbitraire comme exception. Et nul ne souhaite que la loi soit arbitraire… Quand elle traite de son propre cas !

Ainsi dans les années 2000, une nouvelle jurisprudence de la cour d’appel de Toulouse délimite les régions de France où la corrida et les courses de taureaux sont tolérées. Il s’agit des territoires entre « le pays d’Arles et pays Basque, entre Garrigue et Méditerranée, entre Pyrénées et Gascogne, en Provence, Languedoc, Catalogne, Gascogne, Landes et Pays Basque ».

Point d’Auvergne, point de commune de Ceyssat donc.

Un événement qui fait débat

Interrogée par France 3 (Edition du 31/07/2019), une éleveuse, membre du comité organisateur, semble penser que seuls les 2% de français qui sont véganes (c’est-à-dire qui refusent de consommer tout produit ou service issu de l’exploitation animale, même quand elle n’entraîne pas la mort) sont opposés à la tenue d’un événement de ce genre en Auvergne.

Pourtant, dans un contexte où la prise en compte des intérêts des animaux prend de plus en plus place dans le débat public, avec le score « surprenant » du parti animaliste aux dernières élections, elle semble oublier que 89% des français trouvent que la cause animale est importante (sondage IFOP de 2019), que 74% des français se prononcent contre la Corrida et que 80% pensent que ce n’est pas un spectacle, et que 95% souhaitent que les actes de cruauté commis envers un animal tels que définis par la loi soient condamnés sur l’ensemble du territoire français. Ceyssat inclus.

Plus généralement, il peut être intéressant de questionner la tenue de ces courses de vachettes par le prisme de la définition du bien-être animal, tel que défini par l’ONG CIWF qui fait référence dans le domaine. Selon elle, les cinq besoins fondamentaux des animaux seraient :

  1. Absence de douleur, lésion ou maladie.
  2. Absence de stress climatique ou physique.
  3. Absence de faim, de soif ou de malnutrition.
  4. Absence de peur et de détresse.
  5. Possibilité d’exprimer des comportements normaux, propres à chaque espèce.

Les événements récents démontrent que le besoin n°1 ne peut être garanti lors d’une course de taureaux. Les points n°2 et 4 sont eux aussi discutables : pour de jeunes vaches habituées à brouter tranquillement dans les prés, alors peut-on vraiment affirmer que se retrouver transportées pendant plusieurs heures de Dax à Ceyssat en plein mois d’août pour se retrouver immergées parmi la foule, les cris, la musique, tirées par les cornes avec une corde par la « Cuadrilla en habits de lumière », peut-être exposées à la canicule si celle-ci est de retour dimanche, n’est pas source de stress et de peur pour ces jeunes herbivores placides et naturellement pacifiques ?

Et un précédent qui peut avoir des répercussions

N’est-il pas étonnant qu’en 2019, sur un territoire où la tauromachie n’a jamais fait partie du folklore local, la Mairie de Ceyssat autorise un événement qui comporte autant de risques pour les personnes et les animaux et qui semble aller contre les jurisprudences récentes ?

La loi de 1951 et le flou qui entoure cette exception conduisent à penser qu’en instaurant un précédent, il sera, à l’avenir, possible d’organiser une corrida dans des endroits ayant déjà accueilli une course de taureaux. Parfois avec l’aide d’élus.

Ainsi, peut-on estimer que la Mairie de Ceyssat crée un précédent dont elle portera la responsabilité si, à l’avenir, des aficionados de corrida décident qu’il leur est autorisé d’organiser un événement ?

Pour tout cela, n’en déplaise aux organisateurs, et s’il ne s’agit bien entendu pas de remettre en question leurs intentions d’organiser un événement festif et bon enfant, on est donc en droit de se questionner sur la pertinence du thème choisi cette année par la Mairie et le Comité des Fêtes de Ceyssat.

Le Sud n’avait-il donc rien d’autre à offrir ?

On ne peut que souhaiter qu’aucun événement dramatique ne survienne pour que la fête reste belle…

À propos de l'auteur

Roman Cassanas

Rédacteur de la chronique "Polémiques" dont l'idée est d'analyser les polémiques d'ici (et d'ailleurs) et autres "Internet Drama". J'y mets un soupçon de faits sourcés, une dose d'analyse médiatique et rhétorique et une lichette de recherche des enjeux réels sous-jacents. Objectivement, je ne suis pas totalement objectif. D'ailleurs tous ceux qui disent l'être sont des menteurs.

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